4sur5 Animal Kingdom commence sur un faux-semblant : lorsque Joshua devient orphelin, il semble que c'est l'occasion pour lui de prendre sa vie en mains et de rattraper le temps perdu. Récupéré par une famille avec laquelle sa mère avait coupé les ponts, il atterrit chez des criminels légèrement déjantés. Derrière les bonnes manières règne la mauvaise éducation ; cruels à la ville, ils sont aussi foncièrement sympathiques, solidaires et attachants. Ces quatre frères et leur mère réussissent à former une famille unie et épanouie, une véritable tribu devant l'adversité.
Mais déjà Joshua traverse le film l'air déphasé, complètement submergé par les événements et écrasé par sa condition. C'est bientôt la tragédie dans la maison du bonheur. Bien sûr, ses occupants sont protecteurs et libertaires, mais vivre au sein de cette micro mafia impose une lourde dette, car on trinque le plus souvent avec son côté sombre. Il y a peu d'intimité dans cette famille de secours. Face à la crise, le bloc est uni, mais l'individu totalement absout par le dessein du plus fort de la bande. Ils ne vous lâche pas, surtout pas s'il s'agit de tomber avec eux.
Un climat mortifère s'installe ; Joshua a perdu son cadre de vie, désormais son esprit subit de profondes écorchures, infligées par des bourreaux aimables et aimants, comme Janine, la mère de la fratrie, manipulatrice presque par nature, distribuant son affection pour tenir en otage les siens. Joshua est vidé, incapable du moindre élan, comme arraché à sa propre existence : ce sont les symptômes de ceux qui ne sont pas à leur place. Le dilemme du film, c'est de savoir s'il trouvera la force d'abandonner sa coquille, s'il aura le grain de folie suffisant pour tirer un trait sur tout ce qui le maintient encore à la surface.
Coup-d'essai, coup de maître pour le nouveau cinéaste australien, David Michôd. Avec gravité et respect, il filme la chute d'un clan, traitant ses personnages avec empathie mais sans idéalisme. Son Animal Kingdom, pétri par un lyrisme désabusé, offre à la fois une vision clinique, sans jugement, et profondément attachée aux détresses et aux espoirs individuels. Michôd n'a ni peu ni pudeur devant son sujet. Il ne joue pas la distance, ne prêche pas le second degré, n'admet pas non plus la pause et la demie-mesure ; il fabrique son film comme on monte au front. Idem pour le casting ; les interprètes sont des engagés, venus mettre à l'épreuve leur talent, car il s'agit de composer des personnages dépouillés de toute fioriture cinématographique, simplement, bêtement humains. Animal Kingdom est un film sincère mais surtout exigeant, loin du cynisme et de la désinvolture qui caractérisent de plus en plus le cinéma de masse.
A l'heure ou la critique loue les vertus expérimentales d'Essential Killing (existerait-il une copie privée pour la presse ?), Animal Kingdom, sans le chercher pourtant, sinon par quelques effets stylés mais discrets (les ralentis sont magnifiques), se pose comme l'expérience sensorielle du début d'année (si on omet, dans un tout autre genre, le Black Swan d'Aronofsky). Comme quoi, peut-être, l'écriture, les personnages et le scénario, ça compte aussi ; comme quoi, l'émotion ne naît pas que des longs plans fixes contemplatifs.
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