Animal Kingdom entre d'emblée dans ma catégorie de film inclassables. Film touchant et film distant, film d'actions et film philosophique, film de faits et film d'idées. Il regroupe tout cela avec aisance, et David Michôd organise son long-métrage pour faire ressentir aux spectateurs ce qu'il veut leur faire ressentir, au moment propice. Il s'intéresse tout autant à la perception que peut avoir une personne devant son écran qu'à l'histoire en elle-même, le rendu est particulièrement réussi. C'est le cas avec cette première scène étonnante, de la mort de la mère d'un jeune homme. Si celle-ci contribue à servir d'élément déclencheur à l'histoire, elle a aussi un autre rôle, encore plus important : Mettre en évidence l'apathie de Josh, le personnage principal, qui regarde un jeu télévisé pendant que les médecins découvrent le corps inerte de sa mère.
Sa psychologie, très terne en fin de compte, sera encore plus développé lorsqu'il rejoindra le reste de sa famille, qui n'a pas grand chose avoir avec sa propre personnalité. Peu bavard, inexpressif, c'est à ses côtés que l'on va être balloté dans tous les sens, au fil des minutes. Tout comme lui, bien que les informations et les faits nous soient livrés sans faux semblants, nous ne sommes pas pleinement inclus. Et c'est avec ce procédé que Michôd atteint son but, il ne juge pas, il ne place pas le spectateur dans une position faible, le faisant soutenir certains personnage et en haïr d'autres. Non, il apporte une vision de la vie, transmise à travers la succession d'évènements qui vont toucher cette famille.
Nous sommes baignés dans la contemplation des évènements, avec ce réalisme frappant du cadre australien, et cette lenteur ambiante, qui s'orchestre à la fois autour du travail visuel et sonore, que du caractère de Josh. Les émotions ne sont pas nécessairement transmises par les personnages, mais bel et bien par le message qui se situe derrière. Les quelques acteurs ne sont pas spécialement attachants, bien qu'excellents dans leurs rôles, ils ne sont pas là pour ça, ils sont là pour relater d'une étude précise et personnelle de ce qu'est la société.
Un film n'aura jamais aussi bien illustré son titre, l'histoire nous dit qu'il n'y a pas de bien et de mal, juste des personnes avec des objectifs différents. Et c'est à travers cette vision que les personnages gagnent en puissance, en impact. Ils font tous des choix, qu'ils veuillent les faire ou non, et sont donc obligés de prendre des décisions, aux effets parfois dramatiques. Cela peut paraître ironique, mais tous autant qu'ils sont, ils n'ont pas le choix de faire des choix. Ils font ce qu'ils jugent le meilleur, non pas le plus juste, mais le mieux, pour eux, avant tout. On pourrait parler d'égoïsme, mais ce n'est pas vraiment cela, c'est plutôt une lutte entre le fort et le faible, en fonction des situations, où chacun essaie de se retrouver en position de force. Tout est justifiable dans ce film, rien n'est strictement barbare et sans fond, tout est parfaitement dosé pour apparaître logique, et quelque part, inévitable. C'est pourquoi, malgré la tristesse qui atteint son paroxysme avec la mort d'un des personnages, nous ne sommes pas émus. Ce personnage, très peu développé, est peut-être le plus important du film, qui reflète l'intention du réalisateur. Nous ne pouvons rien en penser d'autre que : C'est comme ça et pas autrement.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que jusqu'aux toutes dernières secondes l'on joue sur ce travail sur les personnages. La mère de famille, Janine, magnifiquement interprétée, représente tout ce désir de trouver le bonheur et la paix, en s'accommodant de situations chaotiques, pour en tirer ce qu'elle peut en tirer. Une constante lutte pour sauver sa propre condition, tout en gardant à l'esprit l'une des faiblesses de l'homme, le désir de vengeance.
Animal Kingdom n'est pas violent, il est puissant, il n'est pas triste, il est réaliste, il n'est pas actif, il est passif. Le spectateur lui devient actif devant ce film intelligent, qui traite de nombreux sujets avec clarté et objectivité. Et si son genre est inclassable, on peut sans hésitations le classer dans les très bons films !