Venu tout droit des terres australes, un polar sombre qui marque le public de par une lente descente aux enfers d’un jeune déshérité entrant dans le cercle fermé d’une famille criminelle de Melbourne, Animal Kingdom semble à merveille porter un titre des plus éloquents. La mort d’une mère rapproche un adolescent à l’aube de la maturité de sa famille, sa grand-mère et ses fils, tous criminels, du braquage au trafic de drogues. Le jeune Josh entre innocemment dans un univers mesquin, violent et sans pitié pour en ressortir, ou ne jamais plus en ressortir, bouleversé mais en ayant aussi perdu toute l’innocence de sa jeunesse. Un cinéaste australien, en la personne de David Michôd, est né. Un cinéaste qu’il s’agira de ne pas perdre de vue à l’avenir tant sa conception du polar, du film noir, semble originale, sans aucune mesure, dépendance, avec celui, usé jusqu’à la corde, que l’on nous sert depuis maintenant plus de dix ans.
Ce qui frappe finalement outre mesure, c’est cette distanciation que prend le réalisateur face aux évènements qu’il décrit, tous quasiment dramatiques, alors que son film permet de côtoyer au plus proche, dans l’intimité, le destin d’une famille criminelle. Pour mieux établir le malaise, le cinéaste fait disparaître violemment le plus chérissable des frères, le plus fréquentable du moins, dès les premières encablures du film pour ne laisser place, finalement, qu’à la déchéance du plus fou de tous, le frère aîné, qui s’en l’être réellement, à l’écran du moins, lorgne très franchement du côté du sadique des chaumières, regards menaçants, faciès inquiétants à l’appui. Oui, si la mère, matriarcale, Jacki Weaver, met du temps à retrouver sa place de matrone, c’est bien parce que Michôd s’est appliqué à donner de l’ampleur à chacun des personnages, tous tourmentés d’une manière ou d’une autre, tous différents. Là est sans doute le vrai tour de force d’Animal Kingdom, la profondeur des personnages et leurs variétés. Le constat est le même du côté des forces policières, là où officie le formidable, comme souvent, Guy Pierce.
Si l’Australie faisait office de vivier pour un cinéma puissant et prometteur, cet excellent film noir le démontre haut la main. Nul besoin de justification en regard au contexte, nul besoin d’éclairer les lanternes faiblardes de ceux qui pensent avoir tout vu, Michôd nous plonge sans préambule, aux côtés d’un jeune ado hagard qui préfère regarder les jeux télévisés que d’assister les ambulanciers qui viennent constater la mort de sa mère, dans les bas-fonds de la grande délinquance au pays de kangourous. L’univers dans lequel évolue la fange criminelle de la famille Cody n’a rien d’extraordinaire, sans richesses démesurées, sans surenchère, juste un univers insondable si proche du nôtre, des nôtres, qu’il en serait presque effrayant. Pour terminer sur une note inattendue, David Michôd, intelligemment, prend tout le monde à contre-pied alors qu’une fin possible, deux fins possible, étaient esquissées quelques minutes avant.
Du bel ouvrage, sans pitié, froid, intelligent et sans fioritures trop souvent déplorables. Juste un récit dramatique narrer à un rythme plutôt lent qui privilégie les faciès hésitants, l’intensité des relations entre protagonistes dans une approche très intimiste de leur univers, avec comme mentionné, une distanciation nécessaires lors des évènements majeurs en vue d’éviter les mélodrames, le pathos. Que de bons acteurs australiens, des acteurs qui pour certains, auront déjà traversé l’océan Pacifique pour œuvrer à Hollywood. 17/20