Jusqu'ici, les films d'Inarritu foisonnaient de personnages auxquels quantités de choses arrivaient. Dans Biutiful, un seul héros qui porte tout le malheur du monde, ou presque, sur les épaules. Pour Inarritu, "noir c'est noir" et c'est pas de la rigolade. Dès les premières images, première séquence mise à part, le cadre serré et la lumière sombre nous enferment. On comprend alors qu'on n'en sortira pas. L'horizon est bouché, pas moyen de s'évader. Aussi met-on du temps, pendant toute la première partie du film, à se sentir proche du personnage principal. Il faut dire que la narration brasse du sujet. Non seulement Uxbal a beaucoup de problèmes personnels, mais il nous confronte en plus, au sort très difficile de travailleurs clandestins... L'ennui n'est jamais loin, et l'empathie tarde à venir. Elle arrive cependant, aidée en cela par une peinture particulièrement touchante des relations entre le héros et ses enfants, des enfants en difficulté qui réussissent à s'adapter tant bien que mal à leur situation. La seconde partie du film devient alors plus sensible, plus émouvante, plus prégnante. Inarritu n'a pas choisi Barcelone pour sa lumière et ses jolis palmiers. On est loin de la carte postale façon Woody Allen. Le film se passe en hiver, et les conditions de vie de tous les personnages ne sont en rien enviables. S'il arrive beaucoup de choses au héros (beaucoup trop sans doute), force est d'admettre que tout ce qu'on nous donne à voir ne semble en rien farfelu. Ce réalisme âpre, même surligné, ne peut que nous sauter à la figure, même si la mise en scène, dans cette volonté d'être au plus près, perd souvent de sa pertinence (voir la scène d'arrestation des vendeurs clandestins par exemple) et gagnerait à prendre du recul, tant pour aérer son propos que pour libérer le spectateur d'un certain sentiment d'étouffement. De presque toutes les images, Javier Bardem impose au film sa carcasse massive et abattue. A ses côtés, le casting est juste et homogène, un très bon point du côté des enfants. En résumé, comme à son habitude, et même s'il a changé de scénariste et de structure narrative, Inarritu nous offre un film pesant et sans issues de secours, dans lequel on met du temps à s'installer, un film trop long, trop riche, mais au final assez touchant lorsqu'il recadre son propos sur l'essentiel de son héros : sa vie, sa mort, son père, ses enfants.