Pour la première fois, Gonzalez Inarritu s'est passé des services de son fidèle scénariste Guillermo Arriaga. Biutiful est donc différent de ses trois précédents films, au moins pour l'écriture, resserrée autour du destin d'un seul individu. Toutefois, si le cinéaste a abandonné le concept de puzzle éclaté sur plusieurs continents, la mondialisation l'obsède toujours, à la différence que, cette fois-ci c'est une partie du monde, celle des clandestins venus de Chine et d'Afrique, qui s'est échouée en une unique ville, Barcelone, jamais filmée de cette façon, au grand dam, on présume, de l'office de tourisme de la cité de Gaudi.
Biutiful est un bloc de souffrances, une vision de cour des miracles, qui menace à tout moment de sombrer dans la "glauquerie" la plus hideuse, voire complaisante (Biutiful ? Quelle ironie) et qui s'en sort (ou pas pour certains), par la puissance d'une mise en scène aussi impressionnante que dans Amours chiennes. Un bloc, oui, fissuré de partout, tant les scories de cette histoire sont légion (trop de personnages, trop de noirceur, des scènes à la limite de l'esthétisme morbide, comme celle des cadavres sur la plage), mais qui roule et dévale sa pente avec une obstination inébranlable vers la lumière, au point de faire oublier ses défauts.
Dans ce requiem sombre comme la mort, Javier Bardem est sublime en colosse aux pieds d'argile. Quand le film, perclus dans quelques excès mélodramatiques, semble sur le point de se dissoudre, c'est lui qui le remet sur les rails. A telle enseigne que les scènes sans Bardem semblent comme inhabitées.
En tant qu'expérience cathartique, Biutiful est une oeuvre particulièrement douloureuse, aux frontières de l'insoutenable. Misérabiliste ? Comme Dickens ou Zola, alors ! Ajoutez-y une part dostoïevskienne et vous obtenez un grand film malade. Et surtout un grand film tout court.