Jamais je n'avais autant été subjugué par le cinéma de Kathryn Bigelow. Si son récent Zéro Dark Thirty m'a laissé de marbre, ses plus anciennes créations tel Blue Steel m'avait fortement séduites grâce à l'audace formelle qui s'en dégageait. Je n'ai pas vu Near Dark, mais honnêtement il ne reste que lui capable de réaliser avec Strange Days sur le plan visuel. Au dos de la boîte du DVD, on peut lire « le thriller techno-rock est né », et on ne peut comprendre la signification de ces termes qu'en se plongeant dans cet univers nocturne, sale et violent, dépeint avec virtuosité mêlant amples mouvements de caméra fluides à la fois rapide et gracieux avec une complexité plastique de l'image (lumières qui se croisent et se chevauchent, particules flottantes qui fait grimper le nombre de pixel à un degré tel lors de la dernière scène qu'on ne peut la visionner correctement sur petit écran) abasourdissante. Cette réussite esthétique, qui constitue un atout gigantesque spécialement pour Strange Days, ne fut pas sans peine. En effet, le développement d'une caméra capable d'emballer les séquences en PDV (celles où les personnages regardent les clips) nécessita une année, quant au travail de photographie intense et de fabrication de décors (Los Angeles en mode apocalyptique, sombre, criminel, offrant un croisement entre la série B vampirique à la Blade, le survival à la New York 1997 et le néo-gothico-rock de Phantom of Paradise, est un régal de tout les instants !) amené une foultitude de difficultés. Contre toute attente, Strange Days éclate d'un univers génial, saccadé tout en restant élégant, débordant de classe et de sensualité, qui balaie aisément tout ses concurrents des années 2000 (Matrix n'est qu'un navet bêtement devenu culte, Minority Report présente un travail sympa sur la photographie mais n'atteint pas Strange Days à la cheville, A.I. Est un conte futuriste donc ne joue pas dans la même catégorie, et heu...quelqu'un pour défendre Mission to Mars de De Palma ?). Cette jubilation visuelle de cinéphage se pose au cœur même du sujet du film : éprouver des sensations cognitives grâce à des vidéos que l'on branche à notre cerveau. C'est toute une appréhension du cinéma et des émotions qu'il libère en nous qui est silencieusement mis en avant. On aurait tort de considérer Strange Days comme un simple divertissement de luxe, car le film dissèque des problématiques très intéressantes. Évidemment l'apparence est celle d'un polar de SF, noir, dérangeant, ultra nerveux et ultra violent. Les protagonistes sont brillamment incarnés par Ralph Fiennes (bien meilleur que dans ses futurs rôles de méchants tel Voldemort et Hadès, ce dernier étant carrément foireux...), Angela Bassett qui oscille entre la série B bourrine sans subtilité (genre l'équivalent d'Icecube dans Ghost of Mars quoi) et une approche beaucoup plus touchante et réussie, cela va sans dire, et enfin Juliette Lewis (hyper sexy mais pas que ça). Une fois que l'intrigue acquiert sa forme linéaire et que l'enquête démarre vraiment, on a l'impression qu'ils mènent une course effréné, se soldant par des scènes d'actions d'une brutalité choquante pour un film vendu en blockbuster, d'une efficacité redoutable bien sûr (c'est aussi bien que du Blade) et des moments sentimentaux plus calmes néanmoins animés d'une tension sous-jacente. Les morceaux de bravoure se dégustent pris sur le vif, l'atmosphère qui règne est formidable, et si l'on flaire rapidement le coupable on prend beaucoup de plaisir devant ce compte à rebours du jour de l'an 2000. Lors de cette gigantesque séquence, le spectaculaire est à son comble, Bigelow réalise un montage hallucinant, avec un dernier combat qui n'en finit pas sans paraître ridicule de par ses excès. En effet, cette apothéose explose par la mise en scène superbement audacieuse, mais flirte souvent avec un mauvais goût regrettable, des ressorts scénaristiques qui s'affaissent lentement pour dégouliner dans les clichés, et un méchant dont le traitement réservé sera d'une niaiserie atteignant presque le niveau d'un De Palma. Attention, le côté action s'en voit au contraire gratifié par une surenchère jouissive (en fait, tout ce qui se rattache à l'emphatique du visuel constitue la moelle de Strange Days, et l'aspect purement intellectuel se vautre dans cette dernière partie). La musique nous octroie des partitions démentielles qui jouent évidemment un grand rôle dans la puissance émotionnelle du film. Une œuvre déjà culte dans le cinéma de série B, un petit ouragan de la décennie 2000 qui poursuit les nouveaux départ du cinéma SF action à l'orée du 21ème siècle avec un tempérament sans limite.