Si un film stigmatise les interrogations du cinéma actuel, c’est bien celui-ci. En effet, on peut citer pêle-mêle les thèmes de discussion suivants à son sujet : les effets spéciaux, les super-héros, le casting haut de gamme, les remakes et reboots, l’histoire, Netflix ou cinéma.
Resituons d’abord l’histoire et son contexte. Le dernier film en date de Maître Martin suit le parcours de Franck SHEERAN (Robert De NIRO), qui n’a rien à voir avec Ed, mais est bien irlandais, d’où le titre du film, et de son parcours au sein de la mafia italienne. Ce qui est surprenant quand on connait le protectionnisme de cette organisation. Ce parcours l’amènera à devenir le protégé de Russell BUFALINO (Joe PESCI) et à protéger Jimmy HOFFA (Al PACINO), le célèbre syndicaliste. Selon ses dires, puisque le film est basé sur l’autobiographie de Sheeran, il aurait tué Hoffa sur ordre d’Angelo BRUNO (Harvey KEITEL) dont dépendait directement Bufalino. Voilà pour la petite histoire.
Première question : a-t-on tant besoin de l’Histoire pour en créer une, à défaut qu’elle soit originale ? Car c’est bien de la grande qu’il s’agit : sur environ quarante ans de l’histoire des Etats-Unis, Scorcese nous balade dans une Amérique qui se veut vertueuse, mais qui est rongée par la corruption. Car le cas d’Hoffa s’il n’est pas isolé n’en est pas moins exemplaire sur le plan de la collusion entre politique et organisation criminelle. C’est d’ailleurs la contradiction entre cette corruption à outrance et le refus de céder sur certains « détails » qui entraîneront l’élimination du leader syndicaliste. Peu importe comment, car la véracité des propos de Sheeran n’a jamais été prouvée, mais ça n’est pas l’important ici : c’est une interprétation qui en vaut bien une autre et s’avère plausible au final.
Deuxième question : ne peut-on considérer The irishman comme un remake des Affranchis et de Casino réunis et rebootés ? Car, soyons honnêtes, même pour moi qui ait une admiration sans bornes pour Scorcese : il n’y a rien de vraiment nouveau dans tout ça… La mafia, la corruption, les personnages historiques, que n’a-t-il pas déjà abordé dans son cinéma pléthorique ? Rien ! Il a déjà fait tout cela, mais il le refait avec brio, et montre une maîtrise formelle au service de l’histoire, sans se répéter techniquement, ce qui est assez sidérant à son âge.
Troisième question : le casting ne mange-t-il pas tout ? Rien qu’à voir les quatre têtes d’affiche, on est en droit de se demander et de penser que tout est déjà dit et fait. Là non plus, ces acteurs ne se renouvellent pas véritablement dans la construction de leurs personnages respectifs. Mis à part Joe PESCI qui, loin de ses personnages de Casino et Les affranchis, justement, ou encore Raging bull délivre une prestation sans explosion de colère ou de violence et joue dans la subtilité et la nuance. Malgré tout, il n’est pas interdit d’admettre que pour porter de tels rôles, il faut le charisme et le métier d’acteurs aussi talentueux.
Quatrième question : les super-héros sont-ils normaux ? Dans son besoin de ne pas céder à la vague super-héroïque qui sévit actuellement et truste tout à Hollywood, Scorcese persiste et signe en consacrant un film à des personnages on ne peut plus humains, empêtrés dans leurs préoccupations bassement humaines et qui ne sauvent jamais l’humanité, voire, au contraire, la pervertissent un peu plus. Mais ne sont-ils pas, à leur façon, des êtres plus grands que nature, en étant au-dessus des lois et de la vie quotidienne du commun des mortels ? Ils correspondent donc, d’une certaine façon, au concept de super-héros, ou super-vilain, c’est au choix.
Cinquième question, en lien direct avec les films de super-héros : les effets spéciaux dans tout ça ? Ils sont omniprésents dans les productions hollywoodiennes. Et là, pour une fois, le fait est incontestable ! La technique de rajeunissement dans The irishman est efficace et fonctionne pleinement. Toutefois, si les visages retrouvent leur côté lisse de la jeunesse, le reste des corps n’est pas à l’avenant. En effet, nous ne pouvons que constater que les messieurs cités plus haut ne se déplacent jamais comme des hommes de trente ou quarante ans, mais bel et bien comme des hommes de leurs âges (78 ans de moyenne). Je me doute qu’ils ont fait des efforts pour jouer et simuler la vigueur de la jeunesse, mais ils semblent, dans certaines scènes bien engoncés et raides pour l’âge qu’ils sont sensés avoir à ce moment-là. Mais Maître Martin se défend en expliquant que ce type de SFX se justifient comme du maquillage… Le débat est ouvert.
Enfin, dernière question et non la moindre : Netflix ou cinéma ? Je suis un inconditionnel des salles obscures et je ne comprends pas qu’un tel film n’ait trouvé ni producteur(s), ni distributeur(s), à part Netflix, qui fait office des deux en l’occurrence. Comment avec un tel réalisateur, un tel casting et une telle équipe technique ne peuvent rassembler des financiers autour d’un sujet porteur ? Je ne me l’explique pas et crains que dans un futur proche de nombreux réalisateurs talentueux se tournent, ou continuent à se tourner, vers les plateformes de streaming qui leur apportent les fonds et leur donnent une liberté artistique totale, ce dont ils ne bénéficient pas auprès des studios. A moins que comme toute crise majeure cela ne pousse les décideurs à revoir leur attitude.
Mais qu’en est-il du film, me direz-vous ? C’est une bonne question à laquelle je répondrais ceci… Si The irishman n’est pas un Scorcese majeur, il se situe bien au-dessus de la production moyenne, et cela à tous points de vue. Rien que pour ça, il mérite d’être vu et apprécié. Si j’ai déjà émis des réserves quant au fait de ne pas avoir pris des acteurs plus jeunes pour incarner les « héros » au début de l’histoire, j’en émets également une quant à la démarche globale. Car le fait de rassembler ces acteurs autour de ce cinéaste, dans une histoire quasi-exclusivement tri ou quadri partite, ne révèle-t-elle pas le désir d’un cinéaste de ponctuer sa carrière d’un coup d’éclat avec ses vieux amis ? Ne sommes-nous pas face à un cinéaste qui se regarde un peu le nombril pour créer un évènement autant qu’une histoire basée sur des faits réels, mais aussi sur les relations qu’il entretient avec ses acteurs ?