52 ans après ses débuts comme réalisateur avec « What’s knocking at my door » (1967), Martin Scorsese réalise avec « The Irish man », son 25ème long métrage dans lequel il peut lui aussi réunir Robert de Niro et Al Pacino, performance que seuls avant lui avaient réussi Francis Ford Coppola dans « Le Parrain 2 » (1974) (les deux acteurs n’avaient aucune scène commune), Michael Mann dans « Heat » (1995) et Jon Avnet dans l’anecdotique « La loi et l’ordre » (2008). Le projet est dans les cartons depuis 2007 après que De Niro ait lu le livre de Charles Brandt « I heard you paint houses » paru en 2004, relatant le parcours de Frank Sheeran, syndicaliste au profil mafieux qui à la fin de sa vie (2003) avoua avoir assassiné Jimmy Hoffa dont la mort en 1975 était restée jusque-là inexpliquée. Cette nouvelle version n’a pas forcément convaincu. Après quelques atermoiements de production, c’est Netflix qui emporte la mise, imposant une diffusion en salles restreinte, réservée aux Canada, Etats-Unis et Royaume-Uni. Robert De Niro incarne Frank Sheeran et c’est Al Pacino qui rejoint le projet pour le rôle de Jimmy Hoffa, l’intraitable patron du syndicat des chauffeurs routiers dont il se disait qu’il était aussi puissant que le Président des Etats-Unis. Joe Pesci quant à lui en quasi-retraite, revient pour la quatrième fois derrière la caméra de Scorsese pour y interpréter Russell Bufalino, mafieux italien qui mettra Frank Sheeran, devenu son homme de main, au service de Jimmy Hoffa. Sur 3h30, le réalisateur de tant de grands films décrivant les milieux mafieux, retrace avec brio l’époque de la Guerre Froide, notamment celle de la Présidence Kennedy marquée par les liens étroits qu’avaient noué Joseph Kennedy avec la mafia pour faire accéder son fils John au poste suprême et qui auront une influence majeure sur les dix années qui vont suivre. A la suite de l’assassinat du Président à Dallas le 22 novembre 1963, Robert Kennedy, Jimmy Hoffa, Russel Bufalino, Santo Trafficante Junior et Sam Giancana se sont opposés dans une lutte de pouvoir dont les conséquences intérieures et extérieures ont failli être catastrophiques pour la plus grande démocratie du monde qui à cette époque en avait renié une grande partie des principes. A l’aide d’un flash-back retraçant d’un côté, l’ascension dans les années 1950 de Frank Sheeran, ancien vétéran de la Seconde Guerre Mondiale au sein de la mafia et de l’autre, la chute programmée de Jimmy Hoffa au mitan des années 1970, le spectateur peut suivre grâce à l’architecture brillante du scénario de Steven Zaillan, à la dextérité retrouvée de Martin Scorsese depuis « Le loup de Wall Street » (2013) mais aussi et surtout grâce à l’émotion que fait passer le trio vedette, un formidable suspense qui tente de lever une part du mystère de cette période trouble à laquelle de nombreux réalisateurs se sont frottés comme Francis Ford Coppola (« Conversation secrète » en 1974) Brian de Palma (« Blow out » en 1982), Oliver Stone (« JKF » en en 1991) ou encore Danny de Vito (« Hoffa » en 1992). Les quelques craintes initiales suscitées par la découverte des trois acteurs rajeunis numériquement de manière un peu robotique et désincarnée est vite surmontée grâce aux nombreuses qualités que recèle ce film qui offre à Al Pacino et Robert de Niro devenus bientôt octogénaires, les scènes que l’on aurait aimées les voir jouer bien plus tôt. Mais on ne refait pas l’histoire, même celle du cinéma. Néanmoins, les deux géants et leur complice montrent que les concernant, la valeur peut aussi perdurer avec les années.