S'il confesse n'y avoir rien d'anormal à connaître des nuits d'insomnie sur un tournage -souvenir des images tournées le jour et préparation de celles à tourner le lendemain - Eugène Green explique que cette fois une cause nouvelle s'y est greffée, la sortie française de son livre dix jours avant l'arrivée au Portugal. A propos de cette situation, ce "fils" qui commence sa vie sans lui, il apporte une précision importante : "fondamentalement, je vois l'oeuvre comme un enfant indépendant de qui l'a engendré : du coup, ce n'est peut-être pas plus mal que je sois au Portugal et que mon roman vive sa vie en France."
Le hasard du tournage a voulu qu'il débute par des scènes avec l'acteur le plus jeune, le petit Fransisco. Une situation qu'Eugène Green approuve, estimant même que cela s'est révéler être la façon idéale de lançer dans l'aventure. "Ce que le cinéma permet de plus beau," dit-il, "c'est de capter la lumière intérieure d'un être. Chez un enfant, cette réalité est plus évidente, mais plus difficilement saisissable que chez un adulte." Et sa logique de conclure un message en forme de manifeste. "Or, comme l'être jeune est celui qui est le plus riche en possibilités de vie, en même temps qu'il porte le souvenir tout proche de son non-être, c'est en ouvrant l'oeil de la caméra sur un enfant qu'on cerne le plus directement la condition humaine.
Auteur d'une carrière qui court depuis plus de quarante ans, le réalisateur n'avait encore jamais tourné de long-métrage dans une langue autre que le français. Et le choix du Portugal s'est fait naturellement, tant pour des raisons d'affinités que financières : "Comme toutes les terres avec lesquelles je sens le plus d'affinités, celle-ci est profondément originale, et naturellement universelle. Le Portugal a été très généreux envers moi. Alors que, depuis cinq ans, le CNC rejette tous mes projets de long métrage, ce petit pays, riche en cinéastes mais non en moyens, m'a donné la possibilité de réaliser un nouveau projet d'envergure." Avant d'annoncer son objectif : "J'espère que le Portugal se reconnaîtra dans le film."
Alors qu'il n'a eu pendant longtemps qu'une connaissance limitée de l'art du fado, la révélation est venue par hasard, au détour d'un bar où il a enfin saisi cette "forme d'expression authentiquement populaire, raffinée et vivante, la vie étant quelque chose qu'aucune «fête de la musique» ne pourrait instaurer par décret." Le fado était alors devenu essentiel à son projet. "C'est l'âme sonore de Lisbonne, et comme cette ville est un des personnages principaux du film, il était impossible de la donner à voir sans aussi la faire entendre."
Le film que vient tourner le personnage de Leonor Baldaque est l'adaptation du roman épistolaire Les lettres de la religieuse portugaises écrit par Guilleragues en 1669. L'identité de l'auteur fut d'ailleurs longtemps débattue, le Portugal revendiquant pendant longtemps la paternité de cette oeuvre. Ce livre est un monologue, constitué de cinq lettres. Le style de l'auteur s'apparente plus à une tragédie (qui serait divisée en cinq actes) qu'à un roman. Ce livre raconte l'histoire d'une jeune religieuse portugaise, séduite puis abandonnée par un officier français, et livrant en cinq lettres exaltées toute la palette de ses sentiments.
Eugène Green a d'abord écrit une première fois son scénario en français, puis dans un second temps, il l'a fait traduire en portugais et enfin, dans un troisième temps, il a demandé à Leonor Baldaque, qui parle couramment les deux langues, de corriger la version portugaise afin que la traduction soit très proche de l'originale.
Etant très admiratif du travail de Miguel Gomes, Eugène Green eut l'occasion, grâce à La Religieuse Portugaise, de faire tourner le cinéaste portugais. Eugène Green voit donc un réalisaeur qu'il admire faire une apparition dans son premier film à Lisbonne.
En effet, La Religieuse Portugaise est le cinquième film d'Eugène Green présenté au festival du film de Locarno. Auparavant, le cinéaste avait déjà présenté 1 long et 3 moyens métrages lors de ce festival (il remporta d'ailleurs le prix du Jury pour Correspondances en 2007).