« Trop gay » pour les studios hollywoodiens et pour une distribution dans les salles états-uniennes, finalement produit et diffusé par la chaîne de télévision HBO, après avoir été présenté à Cannes, ce film est moins le biopic de Liberace, comme annoncé, que celui de Scott Thorson, son amant « secret » entre 1977 et 1982. D’ailleurs, le scénario est basé sur le livre autobiographique de Thorson, Behind the Candelabra – My Life with Liberace. Loin d’être ainsi une tentative d’approche objective de ce que fut la vie de Liberace entre 1977 et 1987 (année de sa mort), Ma vie avec Liberace est un pur récit subjectif, tout empreint de la personnalité de Thorson. D’où cette fascination un peu béate pour l’homme de scène, ce romantisme naïf qui transpire de cette histoire aux accents de mélodrame. La réalité était probablement autre. Quoi qu’il en soit, ce regard donne matière à un film étonnant et intéressant à plus d’un titre.
Steven Soderbergh, pour ce qui doit être sa dernière réalisation, selon ses dires, a visiblement eu les moyens et les coudées franches pour faire revivre l’artiste et son univers. Côté scène : le pianiste exubérant, charmeur des ces dames ; ses costumes improbables, ses shows kitschissimes, tout en strass et paillettes. Côté privé : l’homosexuel ardant, vivant entre ses mignons et ses chiens, au cœur d’une luxueuse villa au baroque clinquant. Tout y est : le marbre, les dorures, le jacuzzi avec coupes de champagne, mais aussi les brushings, les liftings… Chapeau aux décorateurs, costumiers, maquilleurs. Certes, on frôle parfois l’indigestion d’artifices et de boursouflures, mais c’est le sujet qui veut ça. Sujet que Soderbergh aborde avec une ambivalence de bon ton sur le plan formel, compensant la démesure de la reconstitution par une réalisation mesurée, élégante, glissant classiquement sur les velours et les satins. Ambivalence aussi sur le fond, cultivant l’éblouissement et la distance ironique, le rose bonbon et le noir amer. Il y a dans le portrait des deux hommes et dans la peinture de leur relation des traits finement nuancés : amusants, tendres, monstrueux, pathétiques. Amusants via l’esthétique gay seventies, le côté old queen exubérante de Liberace, mais sans outrance caricaturale façon Cage aux folles. Tendres et monstrueux sont les traits d’amour, avec ce Liberace généreux et aimant, égocentrique et tyrannique (il va jusqu’à imposer une opération de chirurgie esthétique à son amant, afin qu’il lui ressemble plus), cumulant aussi les figures d’amant, d’ami et de père auprès de son jeune gigolo soumis. Dimension pathétique, enfin, lorsqu’il s’agit de dévoiler la réalité sous les apparences (la toxicomanie de l’un, le sida de l’autre, les règlements de comptes après la passion…). Soderbergh réussit bien les scènes intimes, les plus casse-gueule, en allant autant dans le registre glamour que dans la chronique quotidienne. Il réussit aussi à faire de cette histoire singulière une sorte de symbole aux résonances sociologiques, en montrant la façon dont l’homosexualité était vécue et perçue à l’époque, médiatiquement du moins, entre déni et tabou. Le plan sur la une de journal mentionnant la mort de Rock Hudson est un bon clin d’œil, établissant un parallèle entre les destinées de l’acteur et du pianiste.
Mais plus que tout, le film vaut évidemment le coup d’œil pour son casting improbable, avec notamment un duo central en contre-emploi absolu : Michael Douglas et Matt Damon n’ont pas eu froid aux yeux, n’ont pas eu peur de jouer avec leur image. Leurs performances sont bluffantes. On a beaucoup focalisé sur Douglas en Liberace. Mais ce que fait Damon est probablement encore plus impressionnant, son rôle étant moins typé que celui de Douglas, lequel était peut-être plus facile à épouser dans ses excès. Tous les deux livrent en tout cas des prestations mémorables et audacieuses. Ils sont entourés d’une pléiade d’acteurs sur le retour, également souvent en contre-emploi, qui ajoutent à la surprise du film : Dan Aykroyd (The Blues Brothers, Ghostbusters), Scott Bakula (Code Quantum), Rob Lowe (The Outsiders, Wayne’s World), Debbie Reynolds (Chantons sous la pluie…).