Pour justifier leur enthousiasme pour ce film, certains critiques évoquent Kubrick, et les distributeurs sautent sur l'occasion pour auto-proclamer "L'Orange Mécanique du XXI° siècle". Bigre. Certes, les méthodes carcérales ont visiblement peu évolué dans les prisons de sa Grâcieuse Majesté depuis 1971, et le recours aux oeuvres les plus tonitruantes de Verdi, Wagner, Puccini ou Strauss rappelle l'usage que Kubrick fit de la Neuvième de Beethoven dans son adaptation du roman d'Anthony Burgess.
Certaines scènes comme celle de la salle commune de l'unité psychiatrique pénitentiaire peuvent effectivement faire penser à la façon de s'approprier l'espace à grands coups de travelings visible dans "Barry Lyndon" ou "Shining", même si cette scène-là va aussi lorgner du côté de "Vol au dessus d'un nid de coucou". Pourtant, si ressemblance il y a, elle n'est que de forme. En effet, après avoir vu "Orange mécanique", le spectateur comprenait pourquoi Kubrick avait tourné un tel film à une telle époque.
Après 92 minutes de projection de "Bronson", je continue à me poser la question. Comme l'annonce un panneau au début du film, le scénario s'inspire de faits réels, et Michael Peterson existe bien, avec son titre de détenu le plus violent d'Angleterre. A part se donner un prétexte à un exercice stylistique et à une performance effective de Tom Hardy, à quoi sert de raconter cette histoire-là ? Y a-t-il une morale, une dénonciation, bref un propos à ce film ?
S'agit-il de dénoncer l'injustice de la détention depuis 34 ans d'un homme qui n'a jamais tué ? Si telle est l'intention, alors le portrait qui nous est dressé de ce personnage ultraviolent, capable de tenter d'assassiner un homme (tentative excusable parce que le détenu en question est pédophile ?) juste pour se faire transférer, ou de prendre en otage et d'humilier son professeur d'arts plastiques parce qu'il n'a pas suffisamment défendu sa cause auprès du directeur, ne donne pas vraiment envie de voir cet individu se promener en toute liberté, sans pour autant être un adorateur d'Hortefeu.
Est-il question de la zone de non-droit que représente l'univers carcéral ? Alors, mieux vaut voir ou revoir "Hunger", auquel quelques scènes font penser, notamment celles qui insistent sur la plasticité de l'opposition entre le corps (abimé chez Steve McQueen, magnifié chez Winding Refn) et la texture lépreuses des cellules. Dans "Hunger", la présence de ces hommes dans les Q.H.S. de Maze écoule d'un choix, longuement illustré par la conversation avec le père Moran ; dans "Bronson", la détention dans ces conditions extrêmes semble le résultat d'un caprice plus que d'un engagement.
Car Peterson/Bronson n'a pas dépassé le stade de la toute-puissance enfantine, dictée par ses seules émotions et par le refus de toute contrainte. Quand sa voix off annonce "J'ai été bien elevé", c'est déjà au travers des barreaux de son lit-cage qu'il nous est montré. Et ses dessins qui s'inspirent de ceux du véritable Michael Peterson ont la naïveté des oeuvres de l'enfance, tout comme son goût du déguisement et son rejet du textile.
J'avoue qu'après les premières minutes où l'inventivité de la réalisation me séduisait, j'ai senti monter en moi comme un malaise, l'impression d'être moi aussi pris en otage par un propos diffus mais dont la complaisance me gênait. Plus le personnage justifiait son affirmation "Pour me mettre en scène, j'ai mon petit talent" en incarnant le Joker ou un Janus moderne, moins j'avais envie de cautionner ce racolage prétentieux. Quand le fond est absent, ou alors quand pire, il avance masqué, la forme, aussi clinquante soit-elle, ne suffit pas à faire un film.
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