La thématique de la famille, dans Donnie Brasco, permet de donner au film d’affranchis un visage plus fragile, où l’amateurisme misérable de ses membres n’a d’égal que leur profonde sincérité. Parce qu’il adopte la focalisation d’un agent du FBI infiltré, Mike Newell confronte son personnage aux différents rituels d’intégration au terme desquels il « fera partie de la famille », selon l’adage qui dépasse ici sa valeur symbolique pour toucher quelque chose de plus fort, de plus pur : il s’agit, en fin de compte, de transformer un père et époux en orphelin – il se présente ainsi –, en fils de substitution dans cette grande famille qu’est la mafia. Le film s’intéresse donc aux étapes de ce divorce qui conduira Donnie, une fois sa filature achevée, à regarder en direction de la fenêtre. C’est dire qu’il rêve d’un ailleurs, de cet horizon sans cesse repoussé qui s’ouvrait à chaque nouveau contrat, à chaque nouvelle rencontre. Car malgré les armes à feu et la violence omniprésente, le milieu mafieux a ce potentiel comique (involontaire) qui le rend aussi gaguesque qu’attachant : nous voyons des malfrats casser des parcmètres à coups de marteau pour renflouer leurs caisses, se laisser glisser le long du grand toboggan jaune d’un parc aquatique, jouer au tennis, recouvrir l’un des leurs de sable, comme le feraient des camarades de classe. Ces hommes, aussi mauvais puissent-ils être, n’ont, à l’instar du fils de Lefty, jamais grandi et restent d’éternels enfants. L’incongru n’arrête pas de frapper à leur porte, qu’il s’agisse de perquisitions policières ou d’un lion assis sur la banquette arrière d’une voiture et qu’il convient de nourrir avec des steaks de hamburgers. L’Impossible Monsieur Bébé n’est pas loin, ni d’ailleurs sa propension à rassembler des êtres dans une seconde famille qui tend à se substituer à la première. À ce titre, la figure de Lefty, magnifiquement interprété par Al Pacino, diffuse une impression de ratage mêlé de désespoir sublime, un je-ne-sais-quoi de terriblement humain qui trouve en Johnny Depp (tout aussi excellent) l’occasion d’une paternité très belle à l’écran. Donnie Brasco est un film d’affranchis dans lequel les exactions et les intrigues ne campent pas le devant de la scène ; en lieu et place, une farce aussi froide et brutale que le milieu qu’elle aborde, où les balles pleuvent au son répété de « j’te raconte pas ». En concentrant son attention sur ses personnages et leurs très bons dialogues, Mike Newell fait de son long-métrage une tragédie familiale qui restaure l’humanité au plus profond des caves de corruption.