Carrière très atypique que celle de Mike Newell. Né en Angleterre en 1942, le jeune homme entame une carrière de réalisateur à la télévision. En 1980, il réalise « La malédiction de la vallée des rois » avec le vétéran Charlton Heston, adaptation d’une nouvelle de Bram Stoker. Le film pourtant à contre-courant de son époque dominée par le slasher, remporte un succès d’estime. A la suite, Mike Newell part un peu dans toutes les directions jusqu’à l’avènement de la comédie dramatique « Quatre mariages et un enterrement » qui révèle le talent d’écriture de Richard Curtis et surtout le formidable charisme de Hugh Grant. A 52 ans, Mike Newell accède enfin à la notoriété. Deux ans plus tard, le voilà propulsé à la direction d’un film de gangsters avec Al Pacino et Johnny Depp dans les deux rôles principaux. Un genre aux codes très précis qu’il n’a jusqu'alors jamais abordé. Coup d’essai risqué, transformé en coup de maître, ni plus ni moins, Mike Newell livrant un film totalement maîtrisé que n’aurait sans doute pas renié un cinéaste aussi expérimenté que Martin Scorsese. Comment le réalisateur a-t-il fait ? Cela reste encore un mystère. La présence divine à ses côtés d’Al Pacino, Johnny Depp et Michael Madsen, tous les trois parfaitement rodés à l’exercice ? Sans aucun doute, additionnée à l’inspiration provoquée par le sujet. Un scénario écrit par Paul Attanasio à partir du livre de souvenirs écrit par Joseph D. Pistone, agent du FBI, infiltré pendant plus de cinq ans au sein d’une famille de la mafia new-yorkaise. Joseph D. Pistone, alias Donnie Brasco, c’est Johnny Depp. Son point d’entrée Benjamin Leffty, second couteau blanchi sous le harnais, c’est Al Pacino. Le film s’enroule essentiellement autour de la relation toxique que tissent les deux hommes. Une relation quasi filiale impossible mais bien réelle, Donnie Brasco prenant la place du fils drogué que Leffty désespère de voir un jour sortir de l’ornière. La lucidité chancelante de Pistone inonde bien sûr toute l’intrigue, notamment la relation de celui-ci avec son épouse (Anne Heche) qui se dégrade à vue d’oeil. La trame musicale au violon de Patrick Doyle, déchirante et lancinante, ponctue magnifiquement le drame intime qui se joue pour Pistone, conscient de la confiance aveugle que lui accorde un Leffty à la loyauté chevillée au corps. Second couteau qui n’a jamais trahi, effectuant les pires besognes sans rechigner et qui l’âge venu constate amèrement que cette fidélité ne sera jamais récompensée, les promotions étant toujours pour plus jeunes que lui. Un homme au bout du rouleau en quelque sorte mais résigné qui s’interroge sur le sens donné à sa vie et qui sait que revenir en arrière n’est plus de mise. Impossible donc pour lui d’envisager un seul instant que celui qu’il a adoubé puisse l’avoir trahi. Le film interroge donc sur le très haut risque de l’infiltration sans bien sûr oublier de faire avancer l’action ponctuée des règlements de compte et coups fourrés habituels, formidablement mis en scène par Mike Newell dont on se demande s’il n’a jamais dirigé que des films de gangsters tellement rien ne lui échappe, notamment une direction d’acteurs au cordeau qui permet à Michael Madsen de livrer sans doute là sa meilleure prestation, charismatique et sanguinaire juste comme il faut. Les scènes s’enchaînent au rythme des tubes disco, new wave et funk de l’époque, avec notamment la participation des Pointers Sisters en personne, interprétant « Happiness » dans un bar de nuit. Un film passionnant, épousant les canons du genre tout en invitant à la réflexion à travers le portrait d’un homme dont l’humanité finit par transparaître par-delà les 26 crimes qu’il a commis pour ses commanditaires. Prouvant douloureusement que l’homme n’en finira jamais de surprendre par les paradoxes qui l’habitent. Le tout dominé par un Al Pacino en apesanteur qui donne le la et dont on ne comprend pas bien pourquoi l’académie des Oscars l’a boudé en 1998 au profit d’un Jack Nicholson qui ne livrait pas avec « Pour le pire et pour le meilleur » (James L. Brooks) sa performance la plus mémorable. Johnny Depp en pleine ascension est quant à lui dans sa meilleure période avant que Disney ne lui tombe dessus. Pour conclure, « Donnie Brasco » sorti sur les écrans en 1997 est à placer juste à côté des « Affranchis « et de « Casino » du grand Martin Scorsese. Un chef d'œuvre.