"Seven", ou cette œuvre exceptionnelle qui me laisse un terrible goût d'inachevé ! J'ai voulu y croire, au chef d'œuvre, j'ai essayé, en m'y reprenant à deux reprises, scrutant ses moindres petits détails afin de me remettre en question, rejuger ce regard critique peu être trop sévère. Mais à chaque fois le même verdict mitigé, ce même sentiment qu'il lui manque toujours quelques ingrédients essentiels pour le considérer comme une pièce cinématographique légendaire.
Ce n'est ni le jeu d'acteur pourtant, ni les choix de réalisation, qui sont en cause, enfin dans leur ensemble. Le casting avec Brad Pitt, Morgan Freeman, Gwyneth Paltrow et Kevin Spacey, rien que ça, permet de nous fluidifier le récit en lui conférant le réalisme, le rythme et le tact qu'il faut quand il le faut. Coup de bol, ce film tombe pile au stade de leur carrière où chacun doit donner le meilleur de lui-même, avec un talent avéré certes mais encore en instance d'affirmation. Sont remarquables également les décors, le maquillage, la lumière autour des scènes de crime. On se sent tout de suite étouffé par l'atmosphère régnante. C'est intriguant, très déconcertant, truffé de détails, l'effet est on ne peut plus saisissant de frissons dans le dos devant autant d'horreur. J'ai presque senti l'odeur du moisi tellement c'est bien mis à l'écran ! Enfin le scénario est une merveille d'intelligence et d'audace. Les motivations de l'assassin, sa malice, son sens tordu et morbide du châtiment.
En fait, le film pour moi est paradoxalement tellement bon à suivre, qu'il finit par décevoir de ne pas avoir montré plus de choses. C'est que les 2h10 passent trop vite, on est si bien installé, intrigué par les révélations successives d'une part et emballé par cette coopération à la base mal partie entre les deux enquêteurs d'autre part, qu'on aurait voulu en profiter plus longtemps. Tiens, justement, ces deux flics qui ont du mal à s'entendre au début, un classique de l'époque, il y avait certainement moyen de pimenter un peu plus cette relation. Les petites frictions sont trop anodines à mon goût tandis que les défauts, notamment du jeune inexpérimenté aurait eu le plus grand intérêt à être davantage exposés. J'y reviendrai plus tard. Mais ce qui me gêne par dessous tout, ce sont les profils inexploités de ces victimes, le peu de place accordée à rentrer dans leur intimité la plus sombre ! Dans "L'associé du diable", un des passages marquants était le mini speech autour d'Eddie Barzoon. Pendant près de 5 minutes, on nous met à nu le personnage, on nous en dévoile la face cachée, sombre, celle que ceux qui l'apprécient de voient pas, on nous expose ses défauts dans ses comportements de la vie quotidienne de manière à les identifier clairement, en ressentir toute l'ampleur pernicieuse. Un scène de trop ? Absolument pas, car c'est grâce à cela que le spectateur parvient à porter son jugement, c'est à travers cet effort scénaristique de nous reporter une vision éclaircie de ce spécimen d'humain aux attributs diaboliques, en lien avec le thème principal. Voilà ce qui a essentiellement manqué à "Seven", c'était précisément une initiative du genre ! Il s'agit tout de même d
es 7 pêchés capitaux. On s'attaque là à [spoiler] un très gros sujet, aussi philosophique que sociétal. Une victime dont [spoiler] le choix a été fait selon le pêché capital qu'elle représente, oui, mais aussi dont le profil est tellement vite dressé, oralement de surcroit, qu'
on n'y retient pas grand chose qui porte à réflexion autour du vice !
Pourquoi l'obèse méritait-il son exécution, en quoi exactement l'avarice de l'avocat était-elle aussi méprisable, jusqu'à quel point la paresse du dealer était détestable pour lui coûter 1 an d'atroces souffrances quotidiennes, comment se manifestait la luxure de la prostituée ou l'orgueil du mannequin ?
Le concept du film repose entièrement sur une critique de la société
autour de ces 7 pêchés
sans pour autant fournir suffisamment d'efforts pour nous en démontrer la pertinence. Les choses n'y sont explorées qu'en surface, une allusion faite à la nature
du pêché puis c'est tout, on s'arrête là. Seule est mise en avant l'originalité
des crimes.
Le trajet en voiture n'était-il pas l'occasion, justement, de nous passer en revue chaque crime plus en détails et nous faire un portrait de chaque pêcheur accompagné d'un discours moralisateur de John Doe ? Lui qui a écrit des centaines de livres à la main, qui a tant de choses à dire, qui est décrit même comme un prêcheur désigné, lui qui se donne tant de mal à élaborer un plan aussi machiavélique, va finalement se retenir et ne s'emballe même pas, ne nous vide pas son sac pour nous justifier ses motivations du choix des victimes pour les dernières minutes qu'il lui reste à vivre ? Tous ces efforts pour pas grand chose au final !
Le châtiment de David Mills sous couvert de colère lui-même n'est pas forcément justifié. Je le disais tout à l'heure, à aucun moment ses excès de zèle ne sont arrivés à un tel point qu'il a pu être cruel envers quelqu'un, hautain ou même injuste. J'en ai vu des colériques, qui te poussent au dégoût, ce personnage là n'en fait pas du tout partie, il n'est pas apte à les représenter. Un coup de colère lors du meurtre par vengeance ? Oui, certainement. Mais l'à-coup n'était-il pas si bouleversant, l'état de choc de déstabilisait-il pas au point que, alors que l'arme est déjà pointée vers la victime, reprendre le contrôle s'avérait être trop compliqué pour n'importe quel être dans la même situation ? Je me demande même s'il tue par colère ou si c'est plutôt par chagrin. La scène, telle que tournée, laisse la place à tellement d'ambiguïté que ça pousse plus à l'empathie qu'au regret. On a presque envie de se dire "Bah c'est bien fait pour le meurtrier". Ne pas jouer la carte du anti-héros a pour conséquence logique de sous-évaluer le vice, l'oublier et tendre exclusivement vers une compassion profonde en victimisant un des coupables des 7 pêchés.
Enfin, l'envie de John Doe, il en parle, mais l'a-t-on suffisamment ressentie ? Ce personnage est tellement resté dans l'ombre tout le film durant, qu'il nous a été impossible d'en connaître le profil et déceler cette irrésistible jalousie. Puis au moment où il en parle, il le dit banalement, d'un air si froid que ça a tout l'air d'un mensonge, d'un prétexte inventé de toutes pièces pour y coller ce motif essentiel à son puzzle.
Ce film ose mais pas assez, provoque mais ne va pas jusqu'au bout, dévoile un thème mais ne va pas en explorer les méandres, il ne moralise pas comme il aurait dû ! Pour toutes ces bonnes raisons, je reste sur une grosse frustration. Ce final rocambolesque et assez bien ficelé ne m'a pas impressionné tant que ça. Le fameux et désormais mythique "What's in the box?" a
jouté à l'originalité des deux derniers meurtres, ont
pris tellement de place aux yeux des scénaristes qu'ils ont dû estimer l'ensemble suffisamment abouti et n'ont pas eu le recul nécessaire pour remettre en question le reste, voir s'il n'y avait pas moyen d'enrichir le script en argumentant davantage. Ce n'était pas par paresse mais par un aveuglement lié à l'orgueil d'avoir conclu aussi brillamment que "Seven" pèche par son manque de pertinence et déçoit d'avoir été aussi avare en en clarifications, en leçons de morale. Ça me mets un peu en colère quand même car l'essentiel étant déjà assuré, avec juste un scénario plus gourmand en contenu, qui se serait permis le luxe de multiplier et diversifier ses démonstrations, l'écriture de ce film qui fût malgré tout un carton au box-office, aurait dû être plus scrupuleuse pour être exécutée à l'écran à la perfection, faisant encore plus de jaloux en tant qu'œuvre incontournable du 7ème art.