"The Tourist", remake américain du film français "Anthony Zimmer", a tout pour susciter l’intérêt et la curiosité. Tout d’abord il est réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck, le jeune metteur en scène du magnifique "La vie des autres", qui, en franchissant l’Atlantique, a trouvé l’énergie de s’attaquer à un second long-métrage, quatre ans après son succès planétaire ("La vie des autres" avait été auréolé de l’Oscar du meilleur film étranger). Ensuite, il est écrit par le scénariste Christophe McQuarrie, ancien détective privé reconverti, célèbre plume à l’origine de "Usual Suspects". On pourrait rajouter au casting la costumière Colleen Atwood bien connue des fans de Tim Burton et oscarisée à deux reprises pour "Mémoires d’une Geisha" et "Chicago" mais c’est relativement anecdotique face aux deux stars qui tiennent le haut de l’affiche, à savoir Angelina Jolie et Johnny Depp réunis pour la première fois. Et que donne l’équation d’une somme de talents guidée par l’inspiration carrée d’un producteur américain ? Un navet sidéral ! C’est évidemment le problème des films de commande "made in US". Ils sont dénaturés à l’extrême. Derrière les commandes, il y a un studio, une machine qui ne laisse aucune marge de manœuvre au réalisateur, il abandonne ses droits, son final-cut, il est instrumentalisé et finit par livrer une œuvre sans âme. On se demande encore comment et pourquoi ils sont si nombreux à se laisser envoûter par la lyre du dollar qui finit toujours par les desservir. Le film est d’une laideur formelle surprenante. On pourrait croire qu’il n’y a personne derrière la caméra tant celle-ci semble téléguidée. Les robes d’Angelina Jolie censées refléter son glamour naturel (sic) sont hideuses, une sorte de Grace Kelly modernisée et fardée à outrance. Elle ressemble à une Barbie sortie tout droit d’une boîte de trans. Jamais Venise, principal lieu de l’action, n’est apparue aussi superficielle et déshumanisée. Les bâtiments à la base léchée par les canaux ont l’aspect singulier du carton-pâte, les scènes d’action manquent d'intensité et l’intrigue qui n’accouche d’aucune surprise, même pour ceux qui n’auraient pas vu "Anthony Zimmer", a le relief d’un champ en jachère. Fallait-il donc s’en remettre au charisme des deux acteurs célèbres (qui offrent ici une prestation plus que bancale) et à leur improbable association ? Eh bien non ! Ils ne parviennent pas sauver la gondole du naufrage. A aucun moment, on ne peut imaginer la glaciale Angelina Jolie s’amouracher de Johnny Depp. Ils ont d’ailleurs un mal fou à prétendre le contraire. Elle est évidemment une fidèle du genre du thriller musclé aux rebondissements lourdingues, de ce côté-là pas trop de surprises. Mais qu’est donc venu faire Johnny Depp dans cette histoire sordide et convenue ? Le rôle avait initialement été attribué au zozo du film d’action, Tom Cruise. Mieux encore, il n’était même pas le deuxième choix, Sam Worthington avait démarré l’aventure avant de se rebiffer pour incompatibilité avec le réalisateur. Johnny Depp devait avoir quelques factures à payer pour oser se lancer dans ce projet bancal. On le sent relativement dépité en prêtant tant bien que mal une intention duale à son personnage. Il intègre bien quelques ressorts comiques à son Franck Tupelo mais que peut-il réellement opposer comme réplique crédible face au jeu tout en insistantes œillades d’Angelina Jolie qui croit dur comme fer que sa seule plastique figée a la carrure d’une interprétation digne de ce nom ? Le scénario déroule une histoire d’espionnage autour d’une mystérieuse femme, suivie par Interpol car elle doit les mener à un mystérieux arnaqueur qui a volé un mystérieux mafieux et doit quelques centaines de millions de livres au trésor de sa Majesté. Pour brouiller les pistes, elle fait semblant de s’enticher d’un prof de maths qui n’a rien de mystérieux, qu’elle rencontre dans le train et emmène à son hôtel. Et là, c’est le drame. Objectif déclaré du film : mettre le paquet sur le charme et le mystère, pour en faire une référence de film de fin d’année cool et distingué. Pour le charme, la production nous emmène de Paris à Venise, en insistant sur le glamour des villes visitées, et en espérant que mettre sur pellicule deux des stars les plus sexy de la planète suffira à allumer la flamme. Mais les grands moyens déployés ne servent pas à grand-chose tant l’ensemble est filmé comme une carte postale (pour touristes), et que l’alchimie entre les deux personnages est rendue proche du néant par deux acteurs qui semblent surtout vouloir limiter la casse en en faisant le moins possible. Mention spéciale à Angelina Jolie dont le jeu de femme fatale consiste à se maquiller comme une voiture volée et à changer de toilette haute couture tous les quarts d’heure. Ce qui est assez raté en devient franchement embarrassant quand l’équipe cherche à aller au bout du cahier des charges, et pousse le vice jusqu’à essayer d’intégrer de l’humour à de multiples reprises. Pour le film cool et classieux, on repassera. Pour la partie "mystère", toute l’intrigue cherche à être vaporeuse pour mieux nous emmener vers un gros twist final, en délayant une bonne heure et demie pendant laquelle le spectateur est censé ne se douter de rien. Qu’il ne se passe pas grand-chose pendant tout ce temps ne semble avoir ennuyé personne, car aucune scène rythmée et presque aucune scène d’action ne viendra perturber le petit bonhomme de chemin. Et quant à l’énigme, il ne restera malheureusement pas grand-monde dans la salle pour ne pas l’avoir deviné au moment crucial, sauf évidemment l’aréopage international de flics lancés à la poursuite du couple. Tout ça fait donc un grand plouf dans un happy-end hyper prévisible, avec une apathie générale assez incompréhensible au vu de l’équipe aux commandes de ce projet. En fait, dans cette histoire, il y a bien une grosse arnaque, mais les seules victimes sont les spectateurs d’un côté, et les pauvres naïfs qui ont financé un navet de cette catégorie de l’autre. Et si le spectateur aura perdu quelques euros dans l’histoire, il est fort à parier au vu des premiers résultats que les financeurs vont y laisser un peu plus…