L’âme scandinave au cinéma, on dirait qu’elle consiste à imaginer des problèmes… en imaginant qu’on n’en a pas. À en inventer de nouveaux qui sont en fait déjà là. C’est un peu le contraire de prendre les choses à la légère (les prendre à la lourde ?) & ça fait surgir des sentiments purs & factices à la fois.
Voilà en tout cas ce que contient White Night Wedding (tourné dans la baie de Breiðafjörður), en plus d’un taxi-tracteur, d’un prêtre qui est le sosie de Tómas Lemarquis, d’un claviériste avec une chaussure noire & d’autres curiosités cynico-rigolotes remplissant la baie de Breiðafjörður.
À la lueur du soleil de minuit qui sert de prétexte aux uns à se soûler (& perdre une chaussure) & empêche les autres de trouver le sommeil, on s’invente une nuit étriquée & l’on nage dans ces songes bizarres qui sont supposés n’avoir de sens que dans le noir. Pour Kormákur, c’est donc l’occasion de donner tous les tons à ce jour sans fin qui rend le repos presque virtuel & de composer / décomposer / recomposer son ballet de couleurs naturelles variées – tout ça en étant perdu sur sa petite île de la baie de Breiðafjörður comme Bergman sur sa Fårö.
Dans la baie de Breiðafjörður, les contrastes s’enchevêtrent. 1 = Le marasme se mêle au tourisme. L’espace d’un instant, les businessmen les plus sensibles à la devise américaine (dans le sens monétaire) deviennent l’attraction eux-mêmes, car ils ne savent plus quelle attitude adopter face à ces locuteurs de la langue du dollar ”plus nombreux que nos moutons” qui les gênent, mais qui d’un autre côté les subventionnent & leur changent un peu le quotidien. 2 = On néglige délibérément l’ennui pendant que la folie douce prospère : un mood qui ne se renie pas, surtout dans le paysage plat & sans arbres de la baie de Breiðafjörður.
Si la légèreté est longtemps assumée & constitue en fait l’essence de l’œuvre, elle se rend à force coupable d’être légère pour être légère : sans direction, elle finit par se dissiper & l’on n’a plus que la double histoire (découverte au gré de flashbacks & de flashforwards) pour se rappeler que le film n’est pas constitué que de sa forme. Cela ne suffit pas, hélas, pour faire survivre une heure & demi à une morale aussi peu profonde que la baie de Breiðafjörður, où l’incrédulité du spectateur sera entretenue, ténue, par le grain de sel & de folie qui tient le coup, & aussi grâce à tout un tas d’autoréférences amusantes où les Islandais sont une petite famille même pour le spectateur étranger.
L’impuissance joue un joli rôle aussi : cette conviction jamais tout à fait vraie que personne ne peut se blesser ni mourir tandis que la maladie & la mort rôdent entre des personnages animés essentiellement de fausses raisons d’agir comme ils le font, cela ajoute à la dissociation & nous coupe (un peu) l’envie d’être méchant.
Le claviériste retrouvera des chaussures grâce au ferry, le vaisseau de l’allié capitaliste : les Nike, symbole de victoire, chausseront le grassouillet musicien pendant qu’il mettra l’ambiance dans la cérémonie nuptiale entre la mariée grisée & le marié dégrisé. Fallait-il une heure & demi pour justifier que tout se dénoue, finalement, en un jour ? Peut-être pas, mais la richesse est là & au moins l’inéluctabilité d’un cycle de vie capricieux valait la peine d’être transmis de cette manière dont seule a le secret la baie de Breiðafjörður.
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