A ceux qui pensent que les remakes de films d’horreur sont condamnés à être broyés dans le moule hollywoodien et aseptisés à l’extrême dans un but mercantile en seront pour leur argent avec ce « Suspiria ». Luca Guadagnino réussit à apposer sa patte et sa vision au film culte de Dario Argento faisant de ce « Suspiria » nouvelle génération un sommet d’épouvante et d’horreur en tous points qui ne ressemble à rien de connu et c’est tant mieux. Dans le genre horrifique, on se souvient à la limite du remake de « Massacre à la tronçonneuse » de Marcus Nispel qui parvenait à faire entendre sa propre voie dans une version gore et sans concession d’excellente mémoire. Mais ici, c’est tout autre chose. On est dans un film d’auteur pur jus auxquelles les visions de terreur et l’ambiance malsaine donnent une patte encore plus singulière à une bobine hors du temps. Et on ne peut que saluer le cinéaste qui passe en un an du chef-d’œuvre romantique et éthéré « Call me by your name », chronique sentimentale gay et intello inoubliable, à ce film fantastique où seule la trame et l’histoire générale du film culte de Dario Argento sont reprises mais fondues dans une vision totalement neuve et impressionnante par sa radicalité.
Alors peut-être que cette version peut sembler chargée pour les fans de l’original qui était plus un simple film d’horreur, un giallo comme on disait à l’époque, ayant acquis sont statut culte davantage pour ses qualités formelles et ses exubérances esthétiques. Ici, Guadagnino emmène le spectateur dans une histoire qui convoque la Seconde Guerre Mondiale, la bande à Baader, le féminisme actuel et même l’ascétisme Amish ! C’est parfois un peu trop fort en symbolisme et « Suspiria » 2018 pourrait être désigné par certains comme un film prétentieux à tous niveaux. On choisira plutôt de scanner cette relecture comme un proposition de cinéma inédite, audacieuse et passionnante dont on ne réussira pas toujours à déceler les signes et ponts dressés lors de la première vision. Tout comme certaines clés de l’intrigue resteront opaques, notamment dans le dénouement et le but réel des incantations des sorcières. C’est donc parfois frustrant mais totalement addictif à tel point qu’on a envie de vite revoir le film pour en saisir certaines nuances. Mais ce mystère qui entoure l’intrigue et dont une partie restera en suspens est finalement en totale adéquation avec les fondamentaux du fantastique et les velléités du cinéaste qui a conçu cette mosaïque comme un labyrinthe mental obsédant mais tout sauf limpide et confortable. Le seul réel reproche que l’on pourra apporter au film est sa durée hors de toute logique pour un film de ce genre (plus de deux heures et demie !) et que, par ricochet, sa première demi-heure patine. C’est effectivement long à démarrer et on se dit qu’on est parti pour une projection pénible, mais il ne faut justement pas lâcher au regard de ce qui nous attend après et du film dans sa globalité.
Loin de tous les sursauts de bas étage en cours dans la plupart des films d’horreur et d’épouvante actuels généralement bas de gamme, Guadagnino préfère instaurer une atmosphère délétère, malsaine et putride qui nous colle aux basques dès les premières images. Nous faire sursauter, il n’en a cure. Il préfère nous mettre mal à l’aise et nous offrir sporadiquement des visions d’horreur totalement délirantes. La première, où on voit le corps de cette danseuse en fuite malmené jusqu’à l’écœurement accroche l’œil durablement et nous remue les tripes. Quant à l’orgie horrifique et sanglante finale, si elle aurait pu sombrer dans le grand-guignol et le risible, elle nous scotche à notre siège grâce à cette ambiance répugnante et tous ces personnages fous à lier. C’est un choc, certainement l’une des séquences les plus folles au cinéma cette année. Encore pire, car plus dingue et surréaliste que la seconde partie de « Climax ». Guadagnino y va même un peu fort (il a du mal à contrôler les effusions de sang et certains délires de caméra) mais les visions d’épouvante qu’il nous inflige durant quinze minutes glacent d’effroi à tel point qu’on est content lorsque ça se termine. Un peu l’opposé de la sublime séquence de danse précédente qui range « Black Swan » au rayon crèche et nous hypnotise complètement. D’ailleurs ici la danse est un vecteur puissant de l’intrigue, parfaitement intégré à l’image. En plus de ses plans très travaillés et d’une mise en scène pleine de tours de passe-passe, le cinéaste transalpin réussit un monument de terreur, unique en son genre, qui divisera certainement. Mais « Suspiria » ne laissera personne indifférent par son fond très dense et les visions inédites qu’il propose. Les sorcières n’auront jamais autant fait peur !
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