Dans la famille des entreprises périlleuses, le remake du cultissime Suspiria de Dario Argento peut faire office de mètre-étalon. Pierre angulaire du cinéma d’horreur italien, jouissant d’une réputation loin d’être usurpée, le film du Maestro n’avait pas trop de raison d’être refait, marquant encore aujourd’hui, plus de 40 ans après sa sortie, les spectateurs au fer rouge avec ses allures de cauchemar éveillé.
C’est sans compter sur le péché d’orgueil d’un autre réalisateur transalpin, Luca Guadagnino, tout juste auréolé d’un succès international avec Call Me By Your Name. Celui qui nous avait conté la romance entre deux éphèbes passant leur temps au bord de la piscine dans leur petit milieu bourgeois se voit avec entre les mains une histoire d’école de danse où l’on s’adonne au culte d’une terrifiante sorcière. Difficile de s’imaginer donc Luca Guadagnino, exemple typique du réalisateur de l’intelligentsia mondaine, aux manettes d’un film d’horreur.
En fin de compte, il est impossible de comparer cette mouture 2018 de Suspiria avec le film originel. Guadagnino ayant l’intelligence de ne pas bêtement recopier le film d’Argento , ne gardant finalement que les grosses lignes du scénario, à savoir le personnage de Susie, l’école de danse et la Mater Suspiriorum.
Le film interroge alors immédiatement la question du remake, genre à part entière qui a aujourd’hui colonisé Hollywood.
En optant pour cette approche diamétralement opposée, Guadagnino donne presque l’impression de créer une œuvre originale. Si le film offre donc une vision complètement différente, il fait poindre également une sorte d’arrogance de la part de son créateur. Le réalisateur, qui s’affirme fan du film de Dario Argento, témoigne d’une certaine prétention en voulant refaire un film qu’il adore à sa sauce. On dit alors au revoir au technicolor chatoyant de la version de Dario Argento pour plonger dans des couleurs ternes et grisâtres puisant plus dans le cinéma britannique ou allemand des années 70.
L’action est d’ailleurs déplacée de Fribourg à Berlin afin de profiter du contexte politique particulier de la capitale allemande alors à l’époque encore divisée en 2 par le mur et en proie aux attentats de la fameuse bande à Baader. C’est donc dans ce climat politique instable que la jeune américaine Susie Bannion rejoint l’académie de danse Helena Markos, où un affrontement interne a lui-même lieu entre deux factions sur la direction de l’école. Un maigre rapprochement avec la situation géopolitique de la ville de Berlin, mais qui suffira à David Kajganich pour pondre son script et permettre à Guadagnino de se justifier de s’attarder aussi longtemps sur ce point.
Il faut préciser que cette version de Suspiria a la particularité de durer près de 1h de plus que son aînée. Alors qu’Argento nous assénait un simili-climax dès les premières minutes de son film, Guadagnino prend le contre-pied total, préférant prendre son temps et diffuser une horreur latente, voire même quasi-invisible pendant la totalité du long-métrage et qui surviendra par petites bribes, notamment au cours de séquences de danse. Contrairement à Argento qui utilisait l’école de danse comme un simple contexte, Guadagnino y voit un potentiel afin d’y explorer une certaine horreur corporelle renvoyant au body horror. La séquence la plus réussie du film est d’ailleurs un parallèle entre une chorégraphie endiablée délivrée par Susie Bannion/Dakota Johnson et le châtiment réservé à une écolière dissidente voyant ses membres se contorsionner à la limite de l’humain dans des hurlements de douleur ; cette séquence a le mérite d’impressionner surtout qu’on commençait un peu à s’ennuyer poliment.
Tous ces éléments, le développement du contexte, le rythme très lent, l’utilisation de l’horreur soulèvent ce qui est certainement le plus gros point noir du film et qui le rend presque détestable. Avec ce film, Luca Guadagnino s’inscrit à la perfection dans la vague du cinéma d’auteur s’essayant au genre avec une certaine suffisance. La prétention les accompagnant témoigne alors d’un certain mépris pour ce pan du 7ème art en voulant y insuffler ce qui est un côté bourgeois contraire à ce que le cinéma bis était à ses origines, à savoir un cinéma populaire maltraité par la critique qui n’y voyait souvent que des films d’exploitation racoleurs visant à appâter le chaland.
Avec cette vague de cinéastes adoubés par les grands festivals prônant l’élite cinématographique, le cinéma de genre prend des airs pédants, bavards et développe un intellect hautain (alors que des œuvres bis ont délivré des messages politiques bien plus forts que certains drames d’auteurs).
Ce Suspiria en est un exemple frappant !
Alors qu’Argento axait son film sur les sensations au détriment de l’histoire, opposant une histoire simpliste à un travail colossal sur l’ambiance au travers de sa palette chromatique et de son atmosphère sonore, Guadagnino délivre une trame qui s’avère aussi balourde que vaine. En résulte alors un salmigondis boursouflé, chassant plusieurs lièvres à la fois de façon bien trop artificielle. On pense notamment à l’utilisation du seul perso masculin (par ailleurs incarné par Tilda Swinton dans ce qui semble être la plus grosse fausse bonne idée du film au contraire de sa performance magnétique de Mme Blanc).
La dimension fantastique de l’œuvre émane de façon insidieuse tout au long du film. Guadagnino préférant là aussi inclure son histoire de sorcière dans ce réalisme politique. Susie Bannion n’est d’ailleurs plus la Blanche-Neige innocente face à la méchante sorcière du film d’Argento, elle devient un moyen d’expression d’une féminité qui cherche à s’émanciper. À ce niveau, Dakota Johnson fait un travail plutôt convaincant, notamment dans ces séquences de danse.
Cette approche de l’horreur démontre encore une fois un côté arty de la part de Guadagnino illustré à merveille par cette performance de danse digne de l’art contemporain le plus abscons. . S’il est plutôt avare en effets horrifiques pendant près de 2h, Guadagnino se rattrape cependant dans un final repoussant les limites du grotesque et cherchant par tous les moyens à choquer, au travers de maquillages peu ragoutants et plutôt approximatifs : complètement risible !
Pour quelqu’un qui voulait reproduire les sensations que lui avait procurées le film original, le transalpin se trompe sur toute la ligne. Difficile de voir la puissance évocatrice de l’œuvre d’Argento, tout semblant de sensation étant noyé sous des couches superflues de délires artistiques inefficaces et ce n’est pas cette surenchère grand-guignolesque finale qui va arranger les choses.
Lors du climax, Helena Markos crie : « Ce n’est pas de la vanité, c’est de l’art ». C’est un peu ce que Guadagnino nous hurle à la figure pendant près de 2h30, montrant un auteur sûr de ces effets pompiers et ne se remettant à aucun moment en question, maltraitant les codes du genre dans l’unique but de déranger une certaine caste élitiste. Une œuvre tellement maniérée qu’on n’arrive plus à en distinguer la moindre once d’honnêteté, et ce n’est pas les arrangements pompeux de Thom Yorke pour la partition qui vont changer quelque chose. À défaut de nous faire frissonner, Guadagnino aura pris le titre au pied de la lettre et nous aura tiré de nombreux soupirs.