« L’homme qui tua Don Quichotte » : un film de Terry Gilliam… Mais aujourd’hui qui est Terry Gilliam ? En 2018, de quoi cet auteur est-il le nom ? Est-il encore l’homme à qui nous devons les aussi éclectiques que remarquables « Brazil », « Sacré Graal » et autre « Armée des douze singes » ? Ou bien n’est-il plus que cette ombre qui fut responsable, entre autres, de « Zero Theorem » ? Personnellement, cette question m’a hanté quand je me suis rendu au cinéma pour aller voir cet « Homme qui tua Don Quichotte. » J’avais au fond de moi la secrète envie de retrouver cet auteur incroyable des premiers temps, même si, d’un autre côté, ma conscience s’était faite une raison… Et pourtant. Quel film d’un autre temps que cet « Homme qui tua Don Quichotte » ! A une époque où on nous sauce en permanence avec des effets numériques, des montages cut et des scénarios à trous qui se doivent de nous mettre en émoi toutes les trois secondes, c’est une vraie bouffée d’air frais que de soudainement se retrouver avec ça : un film qui a un discours, une symbolique riche et une véritable créativité formelle. Quel bonheur aussi de retrouver un grain aussi fin dans l’image ; un goût aussi prononcé pour la lumière naturelle et les objets physiques. Du coup, forcément, rien que pour cela, cet « Homme qui tua Don Quichotte » m’a mis dans les meilleures dispositions pour faire l’effort de suivre le fil de sa narration et cerner son propos. Parce que oui, je peux entendre que ce film soit exigeant et qu’il en égare plus d’un en route. Mais moi, personnellement, j’ai adoré me prendre au jeu. Pourtant, quand j’ai vu que ce film se poser comme une sorte de regard introspectif sur le cinéma, le cinéaste et la création, j’avoue que ça m’a un peu refroidi. Les états d’âme égocentrés, en général, très peu pour moi. Mais là, parce que l’œuvre entend se construire comme exploration ; qui plus est une exploration à travers les sens plutôt qu’à travers LE sens, j’avoue que j’y ai vite pris goût. L’avantage de passer par les sens, c’est que l’auteur perd une certaine forme de prétention à nous donner la leçon. Il se contente de livrer une perception des choses à travers le prisme d’un personnage et nous, spectateurs, sommes laissés libres de notre jugement. Et que voit-on à travers le regard de ce personnage qu’est « Toby » ? On voit un auteur pris entre passion refoulée et cynisme aigri. On voit la lâcheté et la vanité d’un homme qui n’a pas voulu voir son pouvoir sur les gens. Un homme qui, par peur, a préféré abandonner tout le monde et s’abandonner lui-même au système tout en essayant de prendre quelques parcelles de jouissance. On parle de Gilliam et de son cinéma dans ce film, assurément. On parle de la bataille d’un homme qui essaye de repartir au combat pour retrouver ses cojones d’artiste. Mais on parle aussi et surtout de quelqu’un qui finit par perdre la tête à force de vouloir lutter vainement contre des moulins à vent… Alors oui, c’est un discours très égocentré. Les références sont d'ailleurs multiples à la filmographie de Gilliam,mais au regard d'un tel propos, cela n'a vraiment rien de gratuit, au contraire. Chaque référence survient toujours comme un retour de Gilliam / Toby vers ses origines, ses fondamentaux, sa rêverie... En ce sens, le film sait d'ailleurs bien doser sa plongée progressive dans l'expérience sensorielle, quitte à devoir faire patienter les plus exigeants d'entre nous lors de la première moitié du film. Mais bon, à mon sens, l'attente en vaut vraiment la peine. Personnellement, je me suis totalement laissé envoûter par le final.
Cette confusion opérée entre anciens temps et nouveaux, entre servitudes passées et servitudes actuelles, j’ai trouvé ça puissant. D’autant plus puissant que les jeux de théâtre et d’artifice viennent sans cesse brouiller les frontières. Au final, dans ce monde étrange que nous brosse Terry Gilliam, tous les doux rêveurs finissent exploités ou moqués. Et la beauté de leur performance ne parvient plus qu’à trouver de sens que dans une certaine forme de folie. Ah ça ! J’ai vraiment trouvé cette conclusion fabuleuse, concluant avec souffle un film d’une richesse créative beaucoup trop rare aujourd’hui.
Alors du coup, cet « homme qui tua Don Quichotte » est-il l’émanation du Gilliam véritable des anciens temps ou bien juste le reflet flatteur d’une ombre d’antan ? Eh bien franchement, pour moi, on tend clairement plus vers le premier plutôt que vers le second. Certes, le milieu de film manque un peu de nerf et parfois les symboliques sont un peu grossières, mais globalement il y a là un savoir-faire que je trouve incontestable. Qu’il s’agisse de la direction d’acteurs (le trio Driver-Pryce-Ribeiro est excellent), de la création formelle des lieux, du montage habile qui induit ce brouillage des frontières et cet humour absurde qui ressort toujours un peu à de multiples scènes, je trouve qu’on touche quand même avec ce film le haut du panier. En somme, voilà un fort bel épilogue à toute cette incroyable aventure humaine et artistique qu’a connu ce film. Une aventure qui a, l’air de rien, titillé ma curiosité de cinéphile pendant plus de vingt ans. Alors bravo M. Gilliam. Bravo parce que vous avez su être à la hauteur de l’événement… Bon après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)