Agréablement surpris. Attention ça va spoiler.
Le film n’est pas un bête remake, sur certains points, il prend l’exact contre-pied de l’original, mais s’efforce de garder l’esprit contestataire du film de Verhoeven.
L’intro est vraiment intéressante,
les USA, en bons gendarmes du monde, déploient des drones en masse pour sécuriser le Moyen-Orient.
Sur le terrain, les drones semblent faire du bon travail, ils sont fiables et les soldats sont à l’abri. Une grande réussite.
Du moins, c’est ce qu’on voit, on coupe rapidement les caméras quand un enfant voulant protéger ou imiter son père kamikaze attaque un robot…
Omnicorp détient le juteux contrat de fourniture de ces drones, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la société sait soigner son image et sa communication.
Voilà un point qui restera en filigrane tout au long du film avec le responsable marketing plutôt drôle, toujours à côté de la plaque, mais surtout toujours présent, il est même chargé de proposer des choix des candidats à placer dans la nouvelle armure d’acier.
Le nouveau produit doit en effet plaire à la masse, on veut un truc jeune, frais, pour permettre l’ouverture du marché des drones sur le sol des États-Unis.
Le nouveau Robocop en lui-même est un robot qui doit avoir l’air humain, mais surtout un produit jetable sans importance, c’est juste un coup de comm’ pour faire taire le bien établi Dreyfus qui a fait passé une loi très « NIMBY ». Les robots c’est bien joli ailleurs, mais on ne va pas accepter sur la terre nourricière de notre merveilleux pays ce que l’on fait subir à nos colonies.
Le pur produit du marketing prend le visage d’Alex Murphy, mais contrairement au premier film qui voyait dans la matière organique le seul moyen de rendre les machines efficaces, là, c’est tout l’inverse.
Les machines nous sont supérieures, stables, efficientes, sûres, et la matière organique n’est là que pour foutre la merde.
Le responsable technique du projet l’accepte avec bonhomie quand il essaye de rééduquer un patient guitariste bénéficiant de bras fraichement sorti de l’usine, tout se passe très bien, jusqu’au moment où les émotions entrent en jeu. La prothèse défaille. Le Monsieur a besoin de ses émotions pour jouer, c’est mal.
L’inversion de la philosophie démontre parfaitement que pour le réalisateur ce n’est plus les machines qui doivent apprendre de l’homme et s’y adapter, c’est les machines qui dominent et c’est à l’homme de faire avec.
Là où Verhoeven refusait la supériorité de la machine, José Padilha affirme que l’humanité se conforme à sa propre création. L’informatique, les médias, les nécessités de l’économie et de la science nous ont ôté notre libre arbitre. Nous sommes tous devenus des robots, ou sur le point de l’être, nous avons perdu la guerre.
En quelque sorte, nous avons plus d’emprunts à Terminator qu’à Robocop.
D’ailleurs, l’ultra violence de l’original a tout simplement disparu. C’est normal, les questions de société, les craintes et les attentes ne sont plus du tout les mêmes que dans les années 80.
En quoi critiquer la violence du monde est-il contestataire en 2014 ? Détroit s’est bien effondrée comme prévu dans le film de Verhoeven, mais est-ce pour cela qu’une criminalité stupide et exacerbée domine là-bas ? Non, c’est loin d’être aussi caricatural.
Et on parle d’un réalisateur qui est brésilien, qui connaît les favelas, qui a réalisé tropa de elite. La pseudo criminalité de Detroit à côté, c’est tellement rien !
Et en 2014, un robot flic qui patrouille dans les rues, c’est moins de la science-fiction que dans les années 80. Il nous faut un peu plus de réalisme, de cohérence avec la réalité.
Bref, le futur proche du premier film est vachement plus proche de nous aujourd’hui et il fallait en tenir compte.
Sans compter que la violence gratuite on en a était abreuvé pendant des décennies, elle n’a plus guère d’impact.
La violence montrée ici est d’une tout autre forme. Si le meurtre de Murphy est un moment de sadisme qui aura brillamment marqué les esprits à l’époque, le pendant dans ce reboot
est la vision de Murphy sans ses bouts de métal qui le maintiennent en un seul morceau.
Cette scène est aussi malsaine et dérangeante que son modèle, et on sent vraiment cette claustrophobie de l’acteur qui souhaite qu’on lui enlève son corps de métal, pour finir par découvrir horrifié, qu’il ne reste quasiment plus rien de lui. (Le « on a pu sauver une main » du premier épisode nous revient comme une bonne claque). Il finit par se résigner, à condition que personne ne voie jamais ce qu’il est réellement, surtout pas sa famille.
Le peu de chaire qui reste n’est que honte. La machine n’est pas un costume, c’est son nouveau corps. Je trouve que cette scène est plus évocatrice encore que le réveil de Robocop en vue subjective de chez Verhoeven.
Là où l’original fait naître une machine, le remake fait mourir un homme.
Murphy avait disparu aux yeux du monde au profit de Robocop, Robocop ne naît jamais aux yeux du monde et reste toujours Murphy.
Mais une fois encore, tout n’est qu’apparence.
Là où le robot laissait progressivement sa place à l’humain, l’humain laisse maintenant sa place à la machine, parfois insidieusement, sans le savoir quand
l’illusion du libre arbitre née chimiquement pendant que la machine contrôle tout
(l’analogie est faite à plusieurs endroits face aux médias contrôlant l’opinion des foules), ou plus directement quand
on abaisse la dopamine pour ne laisser que le robot aux manettes au vu et au su de tout le monde. Un contrôle tellement absolu qu’au cas où le robot échappe au contrôle, un bouton et il s’arrête.
C’est bien les machines, si facilement contrôlables, si sûres, si fiables, si... incorruptibles… contrairement à la police, aux hommes en général…
Notons d’ailleurs que la transformation en machine débute avec un rêve de l’ancienne vie de Murphy, rêve qui s’achève par l’arrivée dans sa réalité de machine, alors que dans l’original, le rêve de son meurtre fait quitter à Robocop son statut de machine pour redevenir humain.
Notons encore qu’on ne prive pas Murphy de son côté humain pour le plaisir, que c’est le médecin, personnage le plus humain et le plus empathique du film, qui met au point ce système, et que l’intérêt de tout ça, c’est le gain de performance et de productivité. Combien sommes-nous avoir abandonné une part d’humanité au profit du capital, de la productivité, et de la performance sans en avoir le choix, simplement pour ne pas nous faire bouffer par les autres ?
Bref, des réflexions qui sans être révolutionnaires méritent tout de même qu’on s’y attarde, d’autant qu’il y a des scènes fortes, des scènes drôles, et de l’émotion (souvent en retrait, la femme de Murphy est notamment peu crédible).
Alors, un grand film ?
Hélas non. Si la première partie est enthousiasmante, la suite se veut nettement plus manichéenne, la fin est bâclée (on sent que le réalisateur a fini par abandonner son combat face aux producteurs alors qu’il avait le sujet, le talent et l’argent pour faire quelque chose de vraiment brillant, une lecture de ce combat perdu peut d’ailleurs être faites dans le film et on peut y voir de beaux pieds de nez), les choix musicaux sont audacieux, mais parfois trop kitsch.
Les petites touches de fans services sont inégales (musique originale utilisée en jingle, je trouve ça bien pour renforcer le côté merchandising du nouveau produit ; le dollar qui tourne maladroitement dans la main du gamin, faudra qu’on m’explique la pertinence par contre…
Samuel L. Jackson en fait trop à mon goût, alors que les passages télévisés dans le premier film étaient assez subtils, ici, c’est à la fois caricatural, même si, en même temps, tellement proche de ce que certains journalistes sont devenus… Cette façon de couper un invité alors qu’il est en train de parler et de potentiellement lâcher une bombe (désolé, mais plus le temps), de chauvinisme primaire (sûr que le réalisateur a dû regarder le 13h de TF1 au moins une fois), de certains médias acquis à la cause d’une société (doritosgate)… La critique est là, elle est pertinente, mais elle manque de subtilités à mon goût.
Je ne ferai pas la liste des incohérences non plus, mais il y en a.
Bref, plein de choses à dire sur ce film qui aurait pu être à la mesure de l’original, voire le dépasser.
José Padilha a des choses à nous dire, ne manquez pas une occasion de l’écouter.
Même quand son talent est gâché par des considérations absurdes.