Morse de Tmas Alfredson est sans doute le plus beau film qu'il m'ait été donné de voir. Déjà ça pose les bases comme intro. Après bien sûr on a tous notre subjectivité et nos sujets de prédilections mais pour moi, on reste sur un chef d'œuvre. Il raconte l'histoire du jeune Oskar, gosse passablement bizarre de la banlieue de Stockholm, fils de parents divorcés vivant essentiellement avec sa mère, souffre-douleur sans amis au collège, et amateur de faits divers morbides. Un enfant un peu particulier dirons-nous. Un jour une nouvelle voisine arrive. Elle s'appelle Eli, semble avoir son âge, vit seul avec un cinquantenaire taciturne, ne sort que la nuit, marche pieds nus dans la neige et véhicule une odeur étrange. Une jeune fille assez spéciale donc. Les deux vont bien évidemment se prendre d'une affection réciproque. Il y a tellement de choses à dire et je ne sais pas par où commencer ! Il s'agit d'un film fantastique qui s'intéresse au thème, très à la mode en 2008, des vampires (ce n'est pas un spoiler, c'est le principe de base). Mais il en réinvente complètement le traitement et offre une vision totalement originale du mythe. Déjà le film s'inscrit dans un cadre moderne mais surtout quotidien, Eli subit sa condition de vampire, elle ne l'a pas choisie, elle doit faire avec et notamment se nourrir. Et là attention, pas de sang de mouton ou de connerie du genre, c'est un vrai vampire, et il lui faut tuer. Le film comporte donc plusieurs scènes assez gores mais je ne pense pas qu'il faille le qualifier de film d'horreur pour trois raisons. Tout d'abord les scènes les plus gores sont souvent, paradoxalement, les plus émouvantes
(on pense notamment à la scène de l'hôpital, aussi repoussante que bouleversante, et celle du "laisse-moi entrer", absolument superbe
) ou les plus drôles (
le premier meurtre
). Ensuite l'absence totale d'effet de surprise, chaque mort, chaque scène de violence est minutieusement préparée et ne cherche pas à prendre le spectateur au dépourvu. Les attaques les plus subites sont filmées hors-champ ou de loin car la sauvagerie chez Eli est nécessaire autant que honteuse et donc intime, cachée, elle attire au final bien plus d'empathie que de peur de la part du spectateur. Qui plus est si un malaise peut s'installer au départ le film a tendance à le dissiper au fur et à mesure tandis qu'un film d'horreur chercherait à amplifier le malaise. Fait d'autant plus palpable que l'on suit le film à travers les yeux d'Oskar qui combine les rôles d'ami/amoureux/serviteur (dans un registre plus raccord au mythe) du "monstre", on se sent proche d'elle et plus le film avance plus notre défense se baisse. Un film d'horreur a plutôt tendance à capitaliser sur l'incompréhension avec un personnage auquel on s'identifie facilement placé face à un contexte qui le dépasse et/ou qui combat sa rationalité, ainsi le spectateur évolue en même temps que le personnage et s'approprie son angoisse. Hors, dans Morse, ce procédé n'est utilisé que dans un subplot concernant les habitants du quartier. Le spectateur s'attache aux personnages en question, dépassés par les événements causés par Eli, mais il s'est déjà identifié à Oskar qui, à aucun moment, n'aura peur de la jeune fille. Ainsi on ne ressent aucune inquiétude face à l'incompréhension de ces personnages mais plutôt de la pitié parce que nous avons une longueur d'avance sur eux. Au delà de l'aspect fantastique Morse est surtout et avant tout la plus belle, la plus sincère, la plus pure histoire d'amour que j'ai vu au cinéma. Si la relation entre les deux protagonistes principaux est aussi bouleversante c'est notamment parce qu'elle se dépouille de tout contingent pour ne garder que l'essentiel, rien d'autre n'importe que l'affection qui les lie, ni leur contexte familial, ni leurs différences,
ni même leur genre
n'y fera obstacle, ils vivent dans un monde à part qui n'appartient qu'à eux. Le film ne tranche pas quant à savoir si leur relation est possible ou non, il sème le doute et laisse le spectateur en décider, il ne tranche même pas quant à la nature véritable de leur relation si ce n'est qu'elle est fusionnelle et très probablement inaltérable. La fin du film, en amenant l'idée que le futur est sans importance tant que dure l'instant présent, distille même un indéniable optimisme qui tranche avec la froideur apparente de l'œuvre. La réussite du film passe également par le talent des interprètes : Kåre Hedebrant est génial en jeune ado torturé, parfois inquiétant, souvent pathétique, finalement très attachant, il compose un rôle en demi-teinte tout à fait remarquable. Et puis il y a Lina Leandersson dans le rôle d'Eli qui passe, en un battement de cils, d'adorable à repoussante, de victime à bourreau, de gamine esseulée à solitaire endurcie, d'enfant innocente à créature affamée. Elle sait transformer son visage à s'en rendre méconnaissable et offre une performance d'une très grande maturité. Pour ceux qui ont vu Stranger Things son jeu offre quelques similitudes avec celui de Millie Bobby Brown, et pour cause, les deux actrices ont cette particularité d'associer un physique de fillette de 12 ans et un regard qui semble avoir déjà plusieurs vies. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur Morse mais il vaut mieux les découvrir tant ce film est riche et complexe. Mais il est aussi très accessible, contrairement à ce que plusieurs critiques ont dénoncé. Le film a par exemple été accusé d'être lent et contemplatif mais il y a ici une confusion entre contemplatif et atmosphérique. Le film constitue une atmosphère cotonneuse et, en un sens, paralysante mais il n'est pas avare en retournements de situation pour autant, seulement ceux-ci ne sont pas soulignés à l'extrême et se contentent de passer pour naturel. D'autre part le film est constitué à 95 % de scènes narratives qui ont toutes leur importance dans l'histoire racontée et très peu de place est laissée à la digression et à la contemplation. L'aspect froid du film ne doit pas venir entraver le visionnage et faire passer pour ennuyeux un film qui ne l'est pas, il s'agit d'un parti pris esthétique et atmosphérique qui n'est là que pour souligner, par contraste, le film ardent sous la carapace. Laissez-vous tenter, passez votre appréhension, et découvrez un des films les plus sublimes de ces dix dernières années.