En homme de goût, le réalisateur choisit d’ouvrir son film sur Jeff Bridges devant l’entrée d’un bowling, clin d’œil ou pas à ce qui restera comme le seul véritable premier rôle d’un acteur extraordinaire et longtemps sous-exploité, rangé dans le grand tiroir des seconds rôles toujours exceptionnels mais auxquels il est difficile d’accorder une tête d’affiche. Crazy Heart fait partie de ces films qui ressemblent à toute une cohorte de petits films dramatiques calibrés pour collecter des récompenses. Car oui, ce film de Scott Cooper est bon, grand, qui navigue à vue dans les courants dangereux du classicisme pour les transcender à l’aide d’un scénario d’une belle finesse. C’est assez fou car on a l’impression d’avoir vu cent fois cette histoire de rédemption d’un type qui touche le fond, mais Cooper réussi à faire du film une véritable renaissance artistique sans tomber dans le cliché et la caricature. D’habitude dans ce genre de mélodrame le personnage pose sur sa vie un regard désabusé et triste, comme s’il avait tout raté, mais pas ici. Pour Bad Blake, sillonner les routes dans son break en fin de vie de bar en salle de bowling, jouer dans des salles ridiculement petites, culbuter des vieilles filles groupies éternelles, passer son temps libre à vider des bouteilles de bourbon et quitter ses concerts en plein milieu pour aller vomir dans une poubelle, ne sont pas les signes d’un quelconque échec. C’est sa vie et il la vit plutôt bien, sans se morfondre sur son sort, au pire sent-on une pointe d’amertume vis-à-vis d’un certain Tommy dont il était le mentor. Cette partie fait la part-belle à la musique, élément au cœur du film indissociable de cette histoire. Car la country c’est l’Amérique, et si en Europe le style n’a jamais vraiment passionné il en est tout autrement chez l’oncle Sam. Scott Cooper réalise un véritable drame à la taille humaine, un portrait sans fard de la musique country-blues en opposant la légende à l'élève au succès démentiel. Cet aspect ajoute un sous-texte au film qui devient presque symbolique d’une génération arrivant en fin de parcours, et c’est poignant comme témoignage. Mais le sujet principal c’est bien Bad Blake, et même si toute une galerie de personnages gravite autour, il s’agit avant tout d’un portrait. Portrait d'une finesse remarquable, tellement fine qu'on pourrait croire qu'il n'y a aucune histoire tant chaque seconde est basée sur la vie de Bad Blake. Et malgré quelques facilités et des prévisibilités dans le scénario, c'est vraiment réussi, tout comme les mises en scènes incroyables des concerts. Et si le film, dans sa seconde partie, tombe parfois dans les lieux communs pas très réjouissants, il n’en reste pas moins un portrait d’une puissance émotionnelle rare accompagné d’une bande originale juste magnifique, qui est selon moi le point le plus fort de Crazy Heart. Jeff Bridges est immense et Colin Farrell interpréte le rôle de l'élève de façon remarquable. Gros bémol pour Maggie Gyllenhaal que je n'aime pas du tout et qui ne déteint absolument pas sur le romantisme de l'histoire. C'est bel et bien Bridges qui fait tout le film. Crazy Heart est un portrait tout simplement bouleversant d’un homme sur le chemin de la rédemption dans une Amérique qui a évolué trop vite pour lui, et c’est plutôt beau.