Le film noir a toujours su saisir Edward Norton et le rendre imposant dans sa carrière d’acteur. A présent, il dispose de la casquette du réalisateur pour rendre sa vision possible, tout en l‘accompagnant jusqu’au bout de la nuit. Après 19 ans, une idée a mûri et l’adaptation de l’œuvre de Jonathan Lethem semble réussie, car divisera moins que sur son « Au nom d'Anna ». Cependant, on remarquera rapidement des similitudes avec « L.A. Confidential », sans intention de le surpasse, mais plus pour rendre hommage au genre qui disparaît peu à peu des salles, notamment chez les grands studios. Mais le sujet est pourtant cohérent et sincère venant du metteur en scène qui tient ses promesses sur de nombreux aspects d’écriture.
Norton campe ainsi un Lionel Essrog, handicapé par syndrome de la Tourette, dont le traitement est d’une justesse touchante. Cette faiblesse rend beaucoup plus accessible ce personnage qui ne revendique pas l’acte d’héroïsme. Mais à travers son obsession, nous comprenons davantage son mal-être, son combat contre lui-même à chaque instant et c’est ce qui le rend particulièrement attachant. Ce qui peut fâcher en revanche, c’est de ne pas assez diluer ses compétences hors normes dans le récit, très riche en informations. On se permet de faire avancer l’intrigue par une astuce que l’on réutilise beaucoup trop. La qualité des transitions est donc souvent sacrifiée au détriment du rythme qui nous tient tout de même avec panache. Le détective nous emmène donc dans les recoins d’un New York qui ne manquent pas de personnalités, notamment dans ces années 50 inattendues, mais qui donnent du cachet à l’environnement hostile, reflet même de l’Amérique d’aujourd’hui.
Le polar met donc en avant le monopole de la société par une mafia politique, mais pas indépendamment de la discrimination et les injustices sociales qui règnent. Et Lionel apporte justement un contraste marquant dans cette cruauté passive, et désenchante même le mal qui frappe, sans oublier une certaine fatalité ou tragédie qui lui échappe forcément à un moment donné. Sa générosité et sa bonté sont de lui un être qui comprend intérieurement l’état mental de cette ville empoisonnée. Il est un orphelin, un paria pour ce monde qui le rejette pour ce qu’il représente. D’une certaine manière, la maladie qu’il porte résonne comme une sorte de remède à l’univers sombre et jazzy de Brooklyn, Harlem et plus encore. Il tente donc de délier une affaire de corruption, mais cela semble plutôt maigre, car le final, aussi majestueux soit-il, le tout semble tout droit sorti d’un chapeau, car le spectateur peut se permettre d’avoir un coup d’avance sur le protagoniste.
En somme, « Brooklyn Affairs » (Motherless Brooklyn) marque un arrêt intéressant sur les compétences d’écriture de Norton et l’ensemble donne envie d’encourager plus de démarches aussi léchées que ce film. Après ce seuil de validation, il serait temps de se détacher des clichés, apportés par un hommage évident, mais qui polluent parfois les tremplins scénaristiques qu’on aurait appréciés avec plus de subtilité. De même, l’éclairage ne rend pas toujours justice au film noir, mais l’ambiance compense très bien ce parti-pris douteux, mais qui ne dérange pas pour autant. Ne retirons tout de même pas l’effort d’un passionné, qui acte avec les spectateurs son retour sur la scène et sa future conquête d’un genre qui brise les codes, par l’humour et pertinence de ses références.