Cette critique révèle quelques éléments de l'intrigue de Brooklyn Affairs.
Edward Norton, qui n'avait jusqu'ici réalisé que le sympathique mais oubliable Au nom d'Anna, revient derrière et devant la caméra avec un polar noir aux forts reliefs de comédie, secondé d'une palette de superbes seconds couteaux. Hommage à tout un pan du cinéma aujourd'hui très peu représenté, Motherless Brooklyn affiche fièrement son ton décalé en prenant justement plaisir à se démarquer des autres sorties de l'année.
On sent que Norton voulait faire quelque chose de différent tout en revenant à une part du 7ème art qu'il affectionne; les hommages, discrets, sont surtout matérialisés par la superbe reproduction d'époque, qu'on pouvait craindre artificielle, numérique. Tout semble avoir été fait de façon artisanale (si je puis me permettre), permettant de fait au public de s'impliquer dans une intrigue d'un autre temps.
L'histoire de vengeance des détectives (particulièrement du personnage de Norton), classique et peu trépidante, dévoile finalement les points d'intérêt d'écriture et de mise en scène de son auteur : Norton, s'il est un poil trop académique avec sa mise en scène (qui vous réservera cependant de sacrées images), prend un plaisir fou à filmer les intérieurs de bars jazz, et à donner le pas à la danse d'amour qu'il partage avec la charismatique et charmante Gugu Mbatha-Raw.
Lors de ces moments privilégiés, le film s'envole, et la photographie permet à cette partie intime de l'affaire d'éclore : les séquences musicales, parfaitement filmées, dévoilent un jeu de lumière absolument fascinant, proche du tableau. Il en ira de même pour les rares scènes amoureuses, discrètes et jamais pathos, que le réalisateur évite de trop mettre en avant, surement pour ne pas avoir à rencontrer les mêmes défauts que les films habituels où l'amour prime sur l'intrigue.
C'est paradoxalement parce qu'il ne met pas assez d'attention sur la relation des deux protagonistes qu'il perd de sa saveur : Brooklyn Affairs, désireux de raconter l'histoire de vengeance de son personnage haut en couleur (à l'humour qui fonctionne un peu quand il veut), se concentre par principe sur une intrigue commune qu'il n'essaie jamais de transcender par un soupçon d'originalité; le concept même du film, le syndrome Gilles de la Tourrette assené à un personnage qui aurait dû être, par définition, de caractère sérieux, sombre, représente sa principale prise de risque.
Du reste, on retiendra quelques révélations prévisibles, un second méchant qu'on attendait et dont la révélation de l'identité tombe totalement à plat, encore que l'ultime twist révèle une affaire aux proportions bien plus intéressantes. C'est alors qu'il développe avec intelligence le propos de son film : le monde est un tableau de nuances de gris qu'il ne faut pas blâmer; il faut essayer de comprendre les raisons de sa décadence.
Ainsi, les personnages n'y seront pas bons ou mauvais : ils auront fait les choix qu'ils pensaient nécessaires pour mener à bien leur vie, et tentent, pour les moins soucieux de la loi, d'en faire disparaître les conséquences. Ni méchant, ni bon, ni cible, un ramassis de personnages qui évoluent les uns par rapport aux autres en tentant de mener à bien leur vie dans un contexte social perturbé.
Le fond, bien plus intéressant que la forme, vient même justifier, volontairement ou non, l'académisme de la mise en scène : le film, dont l'une des thématiques artistiques était d'aborder le renouvellement de l'architecture qui vient bouleverser le quotidien des petites gens, image cela par une réalisation laissant la part belle à la symétrie, au cadrage parfait, à la recherche de la plus belle manière de filmer les intérieurs, les décors, ses personnages en mouvement.
On lui pardonnera son aspect prévisible par le bonheur que procure la reproduction de l'époque, et la joie partagée de voir un Norton en contre-emploi complet, génial comme pas deux dans son rôle exubérant; l'humour, comme je le disais irrégulier, fait la plupart du temps mouche et nous offre quelques répliques d'une justesse surprenante en terme de symbolique et d'impact narratif. Là l'on pouvait craindre un rabaissement des enjeux pour mieux mettre en avant le divertissement et les blagues, le réalisateur, loin d'avoir opté pour la solution de facilité, s'est servi des avancées de son intrigue pour mieux développer tout ce que la fin enverra bouler.
Loin d'idéaliser la figure d'un Bruce Willis pas bien convaincant (sa prestation quand il est blessé est à la limite du mauvais) ou de diaboliser un Alec Baldwin à l'égocentrisme dictatorial (il emporte la caméra quand il est présent), Motherless Brooklyn est un film qu'on aurait pu croire gâché par ses clichés, ses conventions, son manque de surprise, s'il n'avait pas été fait avec tant de sincérité, de plaisir et d'honnêteté.
Un petit divertissement comme on aimerait en voir plus souvent.