Un film fort fait à l’époque où Comencini était le meilleur représentant de l’école italienne ; le post néoréalisme, qui avait rajouté de l’humour grinçant, au réalisme social des années d’après guerre. Cinq ans après son chef d’œuvre ‘’l’Argent de la vieille » il s’essaie à un film mosaïque, très ambitieux, en voulant dresser un tableau complet de la société italienne de la fin des années 70’s. Un gigantesque embouteillage qui symbolise la société moderne, avec une ribambelle d’acteurs qui incarnent chacun des personnages de classe sociale très différente. Tous les personnages vont passer la nuit bloquée sur cette bretelle d’autoroute. Le film a peu vieilli, par son style, mais il garde une force terrible par sa cruauté et le nihilisme de sa vision du monde . Comencini se montre très cynique, les personnages sont « méchants », agressifs, très corrompus. Le Président / producteur magnifiquement joué par Alberto Sordi, est prêt à payer une fortune pour une bouteille d’eau San Pellegrino , il traite son adjoint comme un esclave , et prend ensuite sous contrat de chanteuse, la jeune fille enceinte de 16ans , de la voiture d’à coté, parce qu’il la veut dans son lit. Un personnage absolument amoral. Le personnage de Mastroiani, acteur fameux mais vieillissant, est excellent. Il se refugie dans un cabanon attenant, ou une Stephania Sandrelli sublime, d’une sensualité éblouissante, quoique enceinte jusqu’aux dents, va le séduire, et faire l’amour avec lui, en cachette de son mari, pendant cette nuit torride. Le mari n’est pas dupe, mais laisse faire en espérant que Mastroiani le pistonnera pour un boulot de chauffeur à Cinecitta. Les scènes de toilettes à l’air libre où tout le monde cherche son petit emplacement pour faire ses besoins, sont absolument cocasses, très scato, très pipi-caca comme seuls savent le faire les Italiens ( Ferreri, Scola…). Le couple Depardieu - Miou Miou accompagné de Tognazzi en producteur , amant immoral du trio infernal est très bon l. IL y a aussi le personnage de P. Dewaere, un peu dinguo, qui finira par simuler le coït avec sa voiture sur les voitures qui l’encadrent. Toute une symbolique. Et puis bien sûr la scène la plus forte du film , la plus violente, dans un style très dure , proche du cinéma d’ horreur moderne, prouvant l’incroyable talent de Comencini, du viol de la jeune Hippie par 3 « beaux blonds » silencieux de type aryen ?! C’est insoutenable et aujourd’hui encore, on a du mal à voir la scène dans son intégralité. Angela Molina est superbe, rayonne de fraîcheur et joue très bien, A noter qu’à l’époque les JF ne se rasaient pas les poils sous les aisselles et que la caméra s’y attarde, comme un élément de sensualité animale. Autre temps, autres mœurs.
Peut-être faut-il trouver la clef du film dans une des dernières scènes, surprenante, où une maman nous parle de son fils muet qu’elle transporte dans sa voiture. Celui-ci est silencieux depuis la naissance, elle a tout essayé pour le faire parler : des cures médicales, la science, du religieux avec un voyage à Lourdes , les rebouteux, , elle croit en la vie qui est en lui, et veut tenter une fois encore de le sauver . Tant qu’il y a un souffle de vie, il faut lutter. C’est la parabole du film . C’est probablement ce qu’il faut se dire pour tous les autres personnages, malgré cette vision noire, injuste et pessimiste de l’organisation du monde tel qu’il est, il faut continuer à se battre. Le très beau plan final, plan large avec Zoom arrière, avec l’hélicoptère qui vient annoncer le débloquage de l’embouteillage , donc la délivrance, volant au dessus des voitures entassés. On entend alors le bruit des moteurs qui redémarrent, le plan est fixe, il dure plus de deux minutes , les voitures sont prêtes mais rien n’avance, on ne saura jamais si la vie reprend , ou si le chaos continue. Très beau. Comencini fut vraiment un maitre, même si ce film là pêche parfois par certaines longueurs ou certains traits caricaturaux, c’est une œuvre totalement originale, unique et violente, comme on ne pourrait certainement plus en faire aujourd’hui..