"Non, non ma fille, tu n'iras pas danser", ordonne à Adèle sa mère dans la comptine "Le Pont du Nord". Aidée de son frère, vêtue de sa robe blanche et de sa ceinture dorée, Adèle va quand même au bal, et à la deuxième danse, le pont s'est écroulé : voilà le sort des enfants obstinés, conclue la comptine. Rien d'étonnant de trouver dès le titre un écho enfantin dans un film dont le scénario est signé de Christophe Honoré et de Geneviève Brisac, qui fut sa directrice d'édition à l'Ecole des Loisirs. Car ici, à observer vivre les trois générations, les comportements puérils foisonnent, mais pas forcément de la part des plus jeunes.
Au contraire, Anton, l'aîné de Léna, aborde la vie avec une maturité inquiétante ; quand sa mère tarde à recueillir un oisillon blessé, il lui demande "Est-ce que pendant la guerre, tu aurais sauvé les gens ?". Protecteur de sa soeur dans les scènes de ménage, il adopte aussi vis-à-vis de sa mère une relation inversée : c'est lui qui lui raconte une histoire, ou qui la rappelle à la réalité quand, sur une impulsion, elle veut manger avec lui à la cantine du collège. Même la cadette, Augustine, explique doctement le modèle de pureté que représentaient les Cathares.
Leur mère quant à elle a la caractéristique enfantine de se laisser dicter sa conduite par ses émotions, et de multiplier les attitudes puériles : enterrer en cachette l'oisillon mort, se disputer avec sa soeur ou son frère ("Dégage" "- Non, toi, dégage"), se mettre en colère ou fuir à chaque contrariété. D'ailleurs, quand sa mère lui raconte un épisode de son enfance où avec sa soeur elle s'était perdue en forêt, c'est habillée en chaperon rouge que nous la montre Christophe Honoré.
Léna a bien des raisons de ne pas trouver sa place d'adulte, à commencer par sa mère qui invite en vacances son ex sans l'avertir, et qui continue à vouloir régenter sa vie avec la bonne conscience du scout qui fait traverser la vieille dame qui n'avait rien demandé. Sa soeur n'est pas en reste, dans un autre registre, car comme le dit leur père, "sans drame, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, surtout pour les femmes de cette famille".
Après "Un Conte de Noël" et "L'Heure d'été", voici donc un troisième film d'auteur français à faire de la maison familiale un personnage à part entière, favorable aux réminiscences de l'enfance et aux déchirements de l'âge adulte. Après sa trilogie parisienne, Christophe Honoré réalise un film -ou au moins la première partie- dans sa région natale, la Bretagne, ce qui nous vaut une rupture étonnante au milieu du film : Anton raconte à sa mère le conte de Katell la Perdue, et d'un seul coup Christophe Honoré nous montre cette histoire épouvantable d'une fille qui refusait d'écouter ses parents, tuait ses prétendants comme dans "On achève bien les chevaux" et finit emportée par le diable.
J'ai mis longtemps à savoir si j'amais ou non ce film, agacé par la tare française du dialogue hyper-écrit et les répliques du type "L'amour du prochain, ça te dit quelque chose ?", comme dans les critiques des films précédents d'Honoré (J'ai depuis vu aussi "Une belle Personne", que j'ai beaucoup apprécié -peut-être parce que la préciosité des dialogues y est ici légitime). Et puis je me suis laissé convaincre par le jeu des acteurs, surtout Chiara Mastroianni et Marina Foïs, (mais aussi le Jean-Pierre Léaud d'Honoré, Louis Garrel, qui n'apparaît qu'après 45 minutes) et par la capacité du réalisateur à effectuer des changements de ton et même de style narratif qui évitent de s'enliser dans le pathos : arrêt des personnages qui s'adressent à la caméra, flash-backs oniriques et conte breton.
Malgré ses faiblesses maintenant habituelles dans le cinéma de Christophe Honoré, "Non ma fille, tu n'iras pas danser" est un film intéressant, notamment parce qu'il nous montre comment la maîtrise de la réalisation permet de rendre supportables des scènes qui dans bien d'autres films nous auraient donner envie de sortir de la salle ; à l'image de son héroïne, on trouve le film tour à tour agaçant, outré, statique, avant de finalement se laisser séduire par sa vitalité et sa liberté.
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