Zardoz commence comme la plupart des contes voltairiens, soit par l’arrachement d’un être à ses racines suivi de sa propulsion dans un monde différent du sien, si différent qu’il est regardé par les occupants de ce dernier comme objet de curiosité, de peur et de fantasme. Ce regard porté sur l’étranger féconde le cinéma de John Boorman, lui qui se plaît à orchestrer la lutte entre deux ennemis politiques sur une île déserte ou qui rapporte le ravissement du fils d’un ingénieur par une tribu amazonienne. Or, parmi les nombreux renversements qui scandent sa narration, Zardoz laisse rapidement de côté le récit d’apprentissage pour mettre en scène une dystopie qui réussit à conjuguer le nihilisme d’un Nietzsche explicitement cité avec la fécondité des pouvoirs de la psyché humaine : tout entier construit sur une réflexion par l’image autour de la figure de Dieu, le film embrasse les âges de la vie et se propose de remonter jusqu’à la grotte primitive, à la manière de Stanley Kubrick dans son Odyssée de l’espace. La divinité, tour à tour incarnée par la tête de pierre, le diamant et le héros en slip rouge, voit son acception progresser d’une source de vie et de mort inaccessible à un simple jeu de miroir entre l’homme et son double. Le surnaturel n’est alors que la déformation kaléidoscopique du naturel : nous passons du vénéré totem au diamant, avec dans les deux cas l’illusion d’une profondeur de prime abord spirituelle, physique ensuite. Et si la magie découle de cette somme de phénomènes optiques, Boorman refuse de lever le mystère, ce mystère intrinsèquement lié à l’existence humaine, ce mystère originaire de la tragédie de la nature selon laquelle l’homme place ses espérances en des instances supérieures afin de contempler la renaissance du soleil, chaque jour. Ici, le personnage incarné par Sean Connery fait se succéder les rôles qu’on le contraint à exécuter : d’abord déterminé par son action belliqueuse, il se mue en puissance érotique dissidente, que symbolise son association à l’animal (il dort encagé), allant jusqu’à perforer la bulle plastique tel un pénis craquant l’enveloppe de son préservatif. Le voilà à son tour divinisé, exercer des pouvoirs extraordinaires ; cela ne durera que quelques instants. Un coup de fusil rétablit le désordre. Et paradoxalement, il féconde. Zardoz a pour obsession la notion de reproduction d’une même séquence à partir de déclinaisons différentes. Zed brise les frontières et apporte un chaos nécessaire à toute communauté pour se régénérer : il est l’incarnation de la semence. Dès lors, la trajectoire du long-métrage suit le processus de la reproduction : pénétration, fécondation, grossesse, enfantement, solitude et mort en constituent les paliers successifs. L’humanité ne vit que par la répétition du même cycle infernal : ce constat introduit la vanité – ce portrait des époux vieillissants le montre parfaitement – tout en le désamorçant par une foi placée dans l’art et l’imaginaire. Boorman mobilise de nombreuses références à l’Histoire des idées et des arts, si bien qu’il finit par se raboucher aux prémices du cinéma via la projection de sources lumineuses sur des supports – dans le cas dudit film, c’est le corps des acteurs qui sert d’écran de projection –, séquence psychédélique des plus marquantes qui évoque notamment l’œuvre de Méliès. Car au-delà d’être un conteur hors pair, John Boorman est un plasticien d’exception qui ne cesse de jouer sur les relations de porosité et d’imbrication entre le naturel et l’artificiel : il suffit de voir ce château des délices orné de bulles plastiques (des préservatifs géants, métaphore de la terreur qu’éprouve cette communauté devant la reproduction et la sauvagerie) pour aussitôt penser au monde aristocrate de Metropolis. En détricotant les masques du bon sauvage et du bon civilisé, en brisant les barrières qui servaient à cloisonner les classes sociales, John Boorman crée un microcosme tiraillé entre des pulsions de vie et de mort, en ce sens porteur de l’Histoire de l’humanité et de la révolte qui la fonde. Réflexion philosophique exigeante et passionnante, Zardoz n’en est pas moins un acte de foi dans le cinéma qui ouvre les espaces, aère les théories, fait exploser aux yeux les représentations d’un monde qui nous paraît à la fois douloureusement étranger et dangereusement connu. Tout est poussière, tout est magie : et de la mort elle-même naissent les formes artistiques qui l'immortaliseront.