BAZARDOZ : PARODIE OU PART ODIEUSE ?
Zardoz, c’était pour moi le souvenir d’un visionnage assommant, avec plusieurs images-clés qui flottaient dedans. Peut-être parce qu’il est à la fois étrange et répétitif, le film a imprimé dans ma mémoire différentes scènes visuellement épiques où Sean Connery est figé dans son costume abracadabrant et son expression expectative habituelle parce qu’on a oublié de lui construire un personnage.
“Je suis une parodie !”, clame le film haut et fort, dès l’introduction-prologue réclamée par la 20th Century Fox afin de “mieux faire comprendre le film au spectateur”. Yep, on le prenait pour un imbécile, et c’était peut-être un mal nécessaire, car le film n’est effectivement pas dénué de double fond pour la seule raison qu’il est médiocre – pire, sa médiocrité a caché son véritable intérêt au public. En revanche, les producteurs n’ont pas été capables (à l’inverse du spectateur, cette fois) de se rendre compte que Zardoz n’est pas parvenu à être une parodie.
C’est un des quelques films de l’époque où la SF montait en force à ne pas se situer dans son interprétation littérale, mais plutôt dans une lignée d’œuvres de pulp fiction qui a apparemment suivi La Machine à explorer le temps (George Pal, 1960), des films intemporels qui ont fait figure de fausses anomalies disparates sur trois décennies. Zardoz est un ovni, oui, mais il fait partie d’une famille de films dissonants qui hésitent à devenir cultes et mériteraient d’être remis en grâce.
BIZZARDOZ : PATAUGER DANS LA QUATRIÈME DIMENSION
Peu à peu, on va être placé entre des efforts artistiques localement démesurés (sur les décors notamment) et un barbouillage d’astuces cinématographiques quasi-amateures. Se trouver entre les deux, c’est vide, c’est malaisant. Mais (et contrairement, je crois, à l’opinion générale) non parce que le film est foncièrement mauvais : plutôt parce qu’il laisse trop d’espace entre son génie et ses ratés, ou bien entre Connery (avec son personnage de sauvage qu’il joue mal) et une espèce de communauté new age transhumaniste avant l’heure (tellement apathiques que leurs interprètes n’ont pas besoin de bien jouer).
Cet espace, on baigne longtemps dedans, à se demander si ce qu’on regarde est un navet ou juste un… truc bizarre. On est emporté dans la quatrième dimension avec les notes de la septième symphonie de Beethoven, qui portera une ambiance autrement plus oppressante chez Alex Proyas (Prédictions, 2009). Le voyage est lancinant, psychédélique bien sûr, mais plus éthéré que dérangeant malgré qu’il porte tout le drame de la privation de libertés sous différentes formes. Et c’est surtout un espace riche en possibilités qui sait convertir un kitsch ravageur en charme désuet.
– Ensemble, la compétence du cinéaste et la nullité de la direction artistique (ainsi que de la direction d’acteurs) rendent le film surnaturel, et… c’était un des buts recherchés.
– Les hippies ultra-civilisés immortels qu’on appelle “Éternels” et la “Brute” de Connery atteignent des niveaux d’inexpressivité similaires pour des raisons différentes, ce qui… les met sur la même longueur d’onde.
BEAUX-ARDOZ : UN UNIVERS PROPRE
Tout cela, ce n’est que le début du processus où Zardoz crée son propre univers, avec sa propre géographie, sa culture et sa politique – bien loin du Magicien d’Oz qui lui sert de base et que, grâce ou à cause de la route de briques jaunes, on traversait en ligne droite d’un chapitre à l’autre. Cette route, Boorman la détruit et en jette chaque brique sur la tête des censeurs : de la nudité, de la sexualité, de la bestialité, du racisme, autant de choses mises en scène sourdement, presque avec délicatesse, jamais de manière choquante mais avec une bonne dose d’avant-garde.
Pas seulement d’avant-garde, d’ailleurs : Boorman est carrément visionnaire. En évitant à la fois la SF et la contre-SF, il peint un univers futuriste qui, sans chercher à être juste, tombe par mégarde très près de la vérité.
Des hologrammes, des bips discrets (du moins largement davantage que dans le reste de la SF des 70s), des synthèses vocales propres (inspiration HAL 9000 ?), un monde où l’ennui est la plus grande peur et l’apathie métaphorisée sous forme de maladie ? Bien vu.
Avant de réaliser L’Exorciste 2 (1977) qui sera dans la même veine de “mauvaise réalisation charmante”, Boorman fait l’exorcisme d’un monde dont la seule liberté est de croire qu’il est vraiment libre – un mensonge nécessaire au maintien de la santé mentale des Éternels, mais qui scelle aussi leur destin.
HASARDOZ : RATER LE RATAGE VOLONTAIRE ET PAR CONSÉQUENT RÉUSSIR
Prévu et annoncé comme une œuvre de divertissement, Zardoz prend pourtant beaucoup de temps pour expliquer certains de ses éléments, et fait preuve d’une narration raffinée qui ne laisse pas voir ce qu’elle nous cache – du moins jusqu’à une partie finale qui, par contre, s’éternise, comme si le scénario prenait soudain conscience qu’il n’était pas qu’un simple délire. Telle une transe qui est lucide sans le savoir, l’œuvre fait planer mais le retour à l’action est chaotique.
Parodie ratée devenue bon film par accident, Zardoz est un gros “meh / 20” dans tous les genres qu’il a erratiquement essayés de remplir – mais dans le sien propre, c’est un ovni génial, même s’il est un navire condamné à couler dès son départ du port – et ce n’est peut-être pas un hasard si l’orchestre continue de jouer en plein massacre… comme sur le Titanic, à en croire la légende.
Pas étonnant que le film marque et ennuie à la fois : comme j’étais immature au moment de le visionner la première fois, l’audience en 1974 était immature pour le voir, d’où l’acquisition d’une fanbase tardive mais fidèle.
Si vous voulez voir Connery tenter de faire oublier qu’il est 007 et y arriver par la pure force d’un visuel cachant plusieurs messages politiques mal cousus ensemble, le tout sur fond de figurants qui tombent comme des mouches sous des centaines de balles à blanc, il est encore temps : il y aura toujours Zardoz.
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