Frownland, c'est une déflagration salutaire dans le cinéma contemporain. Salutaire non pas parce qu'il serait l'aboutissement esthétique de ces vingt dernières années (ce n'est pas un film qui s'inscrit dans une quelconque Histoire de l'Art), mais, justement, parce qu'il est absolument singulier et seul. C'est un film comme Eraserhead a dû être à son époque. Rien de grandiose a-priori, mais un langage libre et non immédiatement déchiffrable. Le genre de films où l'on se pose en permanence la question : où est-ce que je suis ? qu'est-ce que je regarde ? quel est le sens de ce qui m'est donné à voir ? Un film fait avec rien, inscrit dans rien, ni dans les critères du Beau ni dans ceux du Laid, échappant aux grilles de lecture préconçues, fascinant et vivifiant. Frownland, c'est l'histoire d'un homme que le réel violente. Cette violence s'inscrit sur et dans son corps sous la forme de grimaces, de morve non ravalée, d'inertie rageuse, de syntaxe chaotique, de coups pour rien. Cet homme, Keith Sontag, est tellement submergé par cette violence qu'il ne parvient en rien à la traduire, à s'y placer (en un sens, on pourrait voir là une continuation de ce que Gena Rowlands fait dans Une femme sous influence - un espace infranchissable prive le personnage de la réalité). Il bute en permanence contre une limite, il se noie dans l'asymbolie, dans la somatisation du réel, dans l'incapacité à se représenter - impossible pour lui de pleurer, de faire une phrase simple, de ne pas s'excuser, de ne pas s'imposer, de tenir le juste équilibre entre la violence et le désir. Il n'a que son corps en désordre et le bruit de ses mots. Frownland est un film extrême, une oeuvre limite jurant souverainement dans le confort du cinéma actuel.