La punition d'Abdellatif Kechiche
Un amphithéâtre en pleine lumière, occupé de scientifiques, des hommes, rien que des hommes. Ils sont réunis pour étudier les organes génitaux de la Vénus Hottentote, ce sexe intrigant, plongé dans un bocal, passe entre toutes ces mains curieuses. Oui, assurément, cette « femelle » était plus proche de l'orang-outan que de l'homme européen. Dans cette première scène l'héroïne est réduite à un moulage post-mortem exposé aux yeux scientifiques, les scènes qui suivent nous invitent à suivre sa vie « d'artiste » depuis la foire aux monstres de Londres jusqu'au maisons closes de Paris. La souffrance absolue de cette jeune africaine de 25 ans est palpable dès les premières apparitions. Condamnée à jouer sur scène l'animal qu'elle refuse de devenir, elle sombre dans l'alcoolisme. Et sa douleur, attachée à l'inventivité toujours renouvelée de la perversité humaine, semble ne devoir finir que dans la mort. Exploitée, violée, souillée, fouillée jusque dans ses entrailles, la pauvre femme porte pourtant sur son visage la dignité et la pudeur. Yahima Torres, qui incarne ce visage, cette moue résignée, est sublime dans ce paradoxe. Mais les scènes se répètent, l'histoire traine en longueur, et le jeu de l'actrice dont on félicite au départ la finesse, le courage et l'authenticité, devient monotone, monothématique.
On regrette une réelle peinture des personnalités qui tendrait vers des personnages de cinéma ou bien une analyse plus documentaire. Par un catalogue de tortures, d'humiliations et d'images nauséabondes l'auteur n'a visiblement pas su choisir. L'accusation ne comporte aucune nuance, et la morale s'offre de manière à la fois manichéenne et simpliste : le monstre n'est pas celui qu'on croit. Ce film très long, presque 3 heures, écœurant à la longue, est en forme de punition. Dès la première scène, loin d'être passif, le spectateur est placé de force dans une situation d'observateur, tour à tour voyeur et pervers, subissant la colère du réalisateur face à la terrible histoire de Saartjie Baartman. Abdellatif Kechiche, interroge en effet la problématique de la frontière entre l'exhibition et le spectacle. Il pointe la cruauté de l'homme du XIXème siècle qui fait sombrer dans la soumission tout ce qui « le déforme », tout ce qui s'éloigne de « la ressemblance ». La Vénus Noire, bien trop différente du modèle européen, est soumise à cette incompréhension, et le spectateur semble devoir subir sa souffrance pour la comprendre, jusqu'à la nausée.
C'est surtout quand la lumière se rallume dans la salle de cinéma, dans un silence morbide – en l'absence de générique final - que l'on sent toute la culpabilité que nous offre ce film, et l'on rejoint la porte de sortie tête baissée, honteux, puni.
Cécilia Di Quinzio