Abdellatif Kechiche, jeune réalisateur français salué par ses pairs, ne travaille jamais dans la demi-mesure. Il peut être percutant dans le discours comme avec l’Esquive, ou franchement misérabiliste avec, de sinistre mémoire, La Graine et le mulet. Il y avait tout à craindre avec sa « Venus noire », sujet casse-gueule par excellence. Un premier constat, malgré une longueur (totalement injustifiée), le film se tient. Mal mais il se tient. Certaines scènes sont très fortes et s’équilibrent sur la longueur. Au niveau de la reconstitution, rien de bien méchant malgré quelques anachronismes notoires, au niveau du langage notamment, là aussi il réussit son pari. Mais il faut en venir au cœur du film : le sujet, l’horrible destinée de Saartjie Baartman. Et là force est de reconnaître que le réalisateur se plante. C’est une question d’approche. Kechiche, on le sait, c’est son fond de commerce, dénonce, se révolte et le fait avec sincérité, souvent maladresse (défaut omniprésent déjà dans le Mulet). Il choisit de montrer, d’incriminer cette société capable de réduire à néant l’individu. Mercantilisme, fantasme, peur irrationnelle mais calculée sont autant de motivations qui ont mises cette femme au ban de l’humanité. Il ne nous passe rien, enfonce le clou avec des scènes terribles qui finissent à force par se ressembler et de fait atténuent l’intensité du propos. On comprend bien le message, 1815 – 2010 = même combat. Mais là où Kechiche manque de subtilité, c’est qu’il en oublie totalement son héroïne. Mal filmée la plupart du temps, presque à la sauvette, on ne trouve pas une scène où elle « existe », elle est dans le décor et parfois il se souvient qu’il doit la cadrer, plus intéressé il est vrai à suivre à l’image les « oppresseurs». Lynch, en référence avec son Elephant Man, avait su trouver le juste milieu entre onirisme et barbarie. Truffaut, avec son « Enfant sauvage » se révélait tout aussi critique mais beaucoup plus fin dans son approche scientifique. Ici, c’est le grand barnum (rien avoir avec Freaks) social, au message tout aussi limité que la réflexion qu’il a posé sur un tel sujet. Qui trop embrasse, mal étreint…