Le regard. La place d'un individu dans le monde qui l'entoure. Le regard de l'autre. La difficulté de trouver sa place. L'ambivalence d'un être humain. Si Kechiche traite ici ses différents thèmes de façon terriblement intelligente d'un point de vu cinématographique et humain, ce n'est à mon sens, pas là qu'il faut y voir son véritable génie. Parce que Kechiche n'est n'y un bon, ni un très bon metteur en scène. Il en est un immense, comme l'on en a rarement aujourd'hui et même hier. Chez lui, tout est question de mise en scène. La scène. Sans doute l'élément le plus important de son cinéma. L'intelligence, et la force de Kechiche, c'est que chez lui, chaque séquence possède peut être un enjeu dramatique défini. Pas plus. Et le réalisateur le creuse, le contourne, rentre dedans, fouille, le visite, la prend par tout les bouts. Et c'est au moment où la scène devrait s'arrêter, que Kechiche reprend de plus belle. C'est une force de cinéma incroyable que d'arriver à filmer si magnifiquement ces corps et ces espaces. Et au delà de toutes considérations métaphysiques ou thématiques, Kechiche aggripe une émotion, deux, trois, quatre. Et plus si affinité. C'est ici, je crois, qu'il faut y voir le génie. Non dans l'explication des images, mais dans leurs acceptations de la façon la plus naturelle qui soit. Il y a quelque chose de baudelairien dans ce cinéma ; cette capacité à pouvoir faire du beau avec du laid (du propos j'entend).
Le corps chez Kechiche, a également une importance énorme tant il est perçu comme une fin en soit. Et en cela, la mythification du corps de la Vénus est vécue comme un réel paradoxe humain, une erreur évidente. Et deux scènes du film (celle de l'inspection scientifique et la dernière) représentent l'opposé total en démythifiant le corps. Comme s'il n'existait pas de juste milieu pour la Vénus, et l'impossibilité de trouver une réelle place dans son existence.
Et en terme de corps, le personnage de la Vénus est extraordinaire. Cette femme, qui au fur et à mesure que le film avance, encaisse, encaisse et encaisse les mots et les regards, sans répondre - ou très peu. A l'instar du spectateur, qui encaisse douloureusement la mise en scène de Kechiche, de façon éprouvante, épuisante. En cela la Vénus Noire se révèle être une expérience de cinéma terriblement fascinante dans sa manière d'essayer de mettre le spectateur dans des conditions presque similaire d'encaissement. Le film est long, sans doute trop. Mais il s'agit d'une volonté, affirmée, revendiquée, et terriblement culottée. En sortant du cinéma, on se sent littéralement vidé de notre âme.
Immense cinéaste, Kechiche nous livre un immense film à la hauteur de son immense talent. C'est à la fois dans la simplicité et dans la difficulté de ses partis pris qu'il parvient à offrir des moments de cinéma purement intense et fascinant - reléguant au second plan un discours humaniste. Un film essentiel.