J'ai mis le temps à me décider pour aller le voir. Énorme ! Pas la vénus. Le film. Chacun essaye de garder intact l'intégrité de sa propre identité, que ce soit la vénus qui veut gagner des sous avant de retourner au pays, ceux qui l'accompagnent, ou l'entourent. Personne n'y parvient. Tous y perdent un peu d'eux-mêmes, sans s'en apercevoir vraiment, comme une arnaque parfaite. Il y a des réalisateurs qui mettent les pieds dans le plat, des courageux ou des provocateurs, des maladroits parfois, Kéchiche y met en plus les mains d'un artisan, doigts d'artiste talentueux. Ça pourrait parler de racisme, de l'autre, de soi-même. Le sujet est l'angoisse, brute, collante à chaque existence, un peu, beaucoup, à la folie, ou passionnément. Quant à ceux qui croient que pas du tout, ce film anxiogène non identifié nous y plonge. La sortie n'est pas l'issue de secours avant le générique de fin, ce sont les dernières images, du rapatriement du corps dans les années 90. Car là on obtient la vérité, une parmi tant d'autres, peut-être, mais qui dit mieux que Kéchiche? Avant ce film sur la vérité belle toute nue qui se suffit à elle-même, le réalisateur avec "la graine et le mulet" avait réussi un film merveilleux, peut-être chef-d'oeuvre, sur la connerie humaine. Ici, il relève encore l'ambition d'un cran. Cela ouvre des perspectives angoissantes, celles qui sont déjà en nous, sans chercher à en créer de fausses fascinantes et sauvages. Ainsi en montrant son actrice, notre vénus, sous toutes les coutures, il est bel et bien à l'opposé exact, comme dans un duel, d'un montreur d'ours. Y. Torres nous livre une formidable composition, pas parce qu'on voit son popotin en zoom caméra, mais parce qu'elle sait rendre les yeux abrutis d'une alcoolique, à des années lumières de son joli regard dans les interviews télévisées. Olivier Gourmet, l'un des plus grands acteurs francophones, fait mieux encore une fois qu'un gérard depardieu n'aurait pu faire, c'est à peine un salaud, un enfant du peuple qui a su déceler la soif de mise en scène qu'a la société, pour ranger tout dans des cases, sous certaines conditions politiquement correctes, qu'il ne maîtrise pas, aveuglé par son mépris pour cette absurde humanité dont il désire être à la marge sans réussir plus que d'en être à la marge socio-économique. Elle finit disséquée, sans échappatoire, libre d'être avilie. La faute n'en revient 100% à personne, ni à celui qui tient le scalpel, ni à ceux qui lui ont conduit une femme devenue corps jusque cette situation, ni à elle-même. Car la faute, même désignée, ne donne pas le pardon. La vérité encore moins. Bravo Kéchiche, t'es un grand, Dieu t'a donné ça, alors ce qu'il te reste à faire c'est de ne pas prendre la grosse tête et de continuer ce qui peut devenir une oeuvre majeure de l'art français, certes, mais maintenant international. T'es un killer. Laisse les parler, ce qui est fait n'est plus à faire.