Un film choc, énorme, dérangeant mais sublime. Un sujet extrême, compliqué, on a vu d’ailleurs les controverses qu’il a suscitées, et pourtant Kechiche s’en sort admirablement bien. C’est un monument de cinéma qu’il nous livre, à la fois sur le fonds et sur la forme. Il arrive tout d’abord à aborder ce sujet délicat avec un juste équilibre. Il montre beaucoup d’empathie pour son personnage, on comprend bien l' humiliation de Saartie, son état de soumission, l’horreur que lui font subir tous ses « protecteurs » blancs, on est très proche d’un esclavage déguisé. Il faut se rappeler qu’à l’époque, l’esclavage existe encore aux USA, et même en France où il est encore actif et toléré dans les colonies en 1815 donc ce que subit Saartie est quelque part dans l’air de son temps, et certains peuvent même considérés que c’était acceptable. On est au moment où les valeurs humanistes vont basculer l’opinion. Son destin est tragique mais logique. Même les scientifiques qui, avec du recul peuvent être perçus comme des monstres racistes, sont pour l’époque, dans une tendance « classique » qui donnait la supériorité de la race blanche comme acquise. Kechiche s’en sort très bien, et arrive à dresser un portrait historiquement très juste et très fin. Tous les personnages ont d’une certaine manière leur raison . Sur la forme , par contre moins de finesse, on est dans la toute puissance du cinéma de Kechice , on en prend plein la figure, des scènes comme la soirée libertine de la noblesse d’empire est énorme, on souffre , on est écœuré, comme les vieux bourgeois qui sont tout excité d’abord, adhèrent au libertinage, à la grande partouze en cours ,mais qui comprennent très vite , que cela n’est pas « accepté », qu’il y a viol moral et physique, et de fait, ils n’adhèrent plus. Ensuite c’est la descente aux enfers, pour Saartie,la prostitution puis la maladie. C’est dur ,c ‘est très violent , mais très réaliste, il n’y a pas d’esthétisme gratuit ici, c’est une sexualité choc, brutale qui n’est pas fait pour exciter. Kechiche est peut être le seul ( avec Noé) à approcher si justement la sexualité dans sa forme bestiale. C’est cinématographiquement parlant excellent. La scène finale avec le biologiste est de la même intensité. Ils font des choses atroces, en pensant travailler pour le progrès. Le film est dur, parfois insoutenable, mais sublime. Une reconstitution historique d’une période charnière,parmi les plus intéressantes de l’histoire du cinéma. La reconstitution du Londres de cette époque est parfaitement réussie. Les acteurs sont formidables, poussés dans leur dernier retranchement, comme sait si bien le faire Kechiche.. La palme à Olivier Gourmet absolument époustouflant, dérangeant , énorme . Bien sûr une belle interprétation de Yamina Torres tout en retenue, qui sait bien transmettre comment elle subit la situation, n’ayant aucun autre choix, et puis une mention à Elina Lowenshon qui interprète une Jeanne émouvante et fragile. Un grand film de Kechiche , peut-être son plus abouti, son plus professionnel, qui se confirme comme un des plus grands rélisateurs contemporain.