Pour son quatrième long-métrage, l'auteur le plus hors-cadres du cinéma français vient de frapper très fort – peut-être même un peu trop. Après "La Graine et le Mulet", formidable odyssée du quotidien qui a pris tout le monde de court en 2007, Abdellatif Kechiche confirme qu'il est un cinéaste avec lequel il faudra compter, soufflant un vent revigorant sur une production hexagonale souvent rivée à ses automatismes. Sauf que le grand bol d'air Kechiche a aujourd'hui le goût méchant de l'asphyxie. Sans concession aucune et avec une violence (physique et psychologique) inouïe, le réalisateur franco-tunisien nous plonge (c'est le cas de le dire) dans le destin dérisoire de Saartjie Baartman, plus connue sous le nom de ''Vénus Hottentote'', femme originaire d'Afrique qui fut amenée en Europe, au début du XIXe siècle, pour être ''exposée'' aux yeux des masses avides d'exotisme. L'une des particularités de Saartjie, outre celle d'incarner pour les contemporains le fameux « chaînon manquant » entre l'homme et le singe, est son hypertrophie des fesses et des parties génitales, attrait que ses ''maîtres'' s'empresseront d'exploiter lors de spectacles sordides, inlassablement réitérés, des bouges londoniens jusqu'aux salons parisiens. Avant que les scientifiques français, George Cuvier en tête, s'y intéressent à leur tour... Kechiche, fort de sa consécration critique et publique qui lui a donnée du poids, entame un premier tournant avec le reste de son œuvre, et pas le moins risqué : abandonnant les chroniques sociales ancrées dans leur époque, il s'essaie à la fresque historique. Mais on se doute bien que les grands panoramiques ne l'intéressent pas (d'ailleurs, le film n'est pas très heureux dans le domaine), et que ''reconstitution'' sera pour lui synonyme d'immersion, avec ce naturalisme qui le caractérise. "Vénus noire" ne néglige pas le décor mais favorise les plans serrés sur les corps, les longs blocs théâtraux, les exaltations en intérieur suintant de musique et de sueur. A la faveur de son filmage brut, l'Angleterre victorienne perd de son artificialité de façade pour en devenir tangible, palpable ; il faut remonter jusqu'à "Public enemies" de Michael Mann pour sentir s'abolir, avec une telle force, la distance entre reconstitution historique et temps concret de la projection. L'immersion fonctionne jusque dans les séquences les plus apaisées et les plus fraîches de "Vénus noire" : Kechiche, sans doute partagé entre ses envies de grand cinéma et son intransigeance d'auteur, opère ici un drôle de mélange, et ce n'est pas la moindre des surprises de sentir un vrai souffle romanesque (du moins dans la première partie londonienne) au sein d'une œuvre aussi anxiogène et aussi réaliste – et ce contrairement à ce qu'on a pu en dire. Mais c'est évidemment cette dernière dimension, celle de l'abjection et du traumatisme, qui triomphera à mesure que l'étau se resserrera, implacablement, autour de la Vénus Saartjie...
(la suite de ma critique sur mon blog : http://mon-humble-avis.blogs.allocine.fr/)