Ce sont aussi les limites de l’art qui sont ici questionnées : que peut se permettre un artiste, l’œuvre de création peut-elle s’arroger tous les droits, où se situe la frontière du respect de l’autre, surtout lorsqu’il s’agit d’une préadolescente n’ayant pas encore toutes ses facultés de discernement, séduite, intriguée puis dépassée par l’étrange commerce de sa mère ? Toutes les deux blonde platine, Hannah et Violetta forment un curieux tandem où le rapport s’inverse souvent, semant le trouble : qui est au demeurant la plus mature, la moins inconsciente des deux ? Parce qu’elle a su créer une atmosphère onirique, Eva Ionesco donne à son film une forme de conte qui évite l’aspect scabreux ou racoleur qu’il aurait pu facilement revêtir. Hannah porte donc à sa fille un amour-monstre et peu importe que cette dernière en subisse les dommages. Pour l’artiste, seule sa création compte, peu préoccupée des moyens utilisés.
L’actrice Isabelle Huppert paraît évidente dans le rôle de cette intellectuelle, chantre de l’érotisme littéraire, mais la nouvelle venue Anamaria Vartolomei stupéfie par sa présence à l’écran, son charme de lolita terriblement naturel et vénéneux, qui ne trompe d’ailleurs pas l’entourage d’Hannah. À un moment, celle-ci conseille la lecture de Ma mère de Georges Bataille à sa fille. La référence n’est pas innocente : la transgression, l’érotisme approché comme un rempart face au vide insaisissable de la mort sont des thématiques récurrentes chez l’écrivain, notamment dans l’opus cité vu comme la synthèse de ses préoccupations.
Volontairement théâtral – diction ampoulée des comédiennes, affectation des poses et recherche dans les tenues vestimentaires, géographie des lieux, à la fois antres et bordels – My Little Princess interpelle et dérange, mais sans susciter de gêne malsaine. On voit bien combien il est compliqué, sinon impossible, de se remettre d’une telle expérience, dont le principal effet a été de projeter sur le devant de la scène et au sein d’un milieu interlope une jeune fille, tout en la privant de son enfance puisqu’elle était soudainement propulsée dans le monde des adultes.