Si Verhoeven l’avait réalisé ? Si Ferrara l’avait réalisé ? Si Noé l’avait réalisé ? Aurait-on eu le même film ? Je sais, c’est facile avec des « si ». Je voulais dire par là que la réalisatrice Eva Ionesco, a mis en scène une grosse tranche de sa vie. Laquelle est dure à avaler. Mais grâce à la pudeur de la mise en scène, grâce à une direction d’acteurs maîtrisée, grâce à l’interprétation d’Anamaria Vartolomei en tête et à Isabelle Huppert, le film est étonnement digeste. J’imagine que le trouble, le manque de repère d’Eva Ionesco devait être rudement plus déstabilisant sous la focale de sa mère. Elle aurait commencé à poser à quatre ans. Or dans le film, son « double » commence à dix ans. C’est pourquoi, je dis « si » ces réalisateurs sulfureux avaient mis en scène la tranche de vie d’Eva Ionesco, n’auraient-ils pas été plus crus ? Ici, avec l’œil de la réalisatrice, il peut y avoir danger : celui de ne pas détester la mère jouée par Isabelle Huppert, ou à défaut de la détester, je ne crois pas que ce soit la prise de position de Ionesco, la condamner. En ce qui me concerne, je n’ai ni détesté sa mère, ni je l’ai condamnée pour ce qu’elle a fait. Et c’est là le danger. Je croyais que la réalisatrice allait charger sa mère mais j’ai eu l’impression qu’il y avait comme des circonstances atténuantes. J’ai réagi comme Ernst (Denis Lavant) avec douceur, sobriété, sans dégoût. En effet, on a essayé de la prévenir, mais elle a dépassé les limites. Sous entendu, c’est grave mais ça peut se récupérer. Or, apparemment, et le film laisse la porte ouverte, il y a un vrai traumatisme. Lequel, je suis désolé, on ne le sent pas trop. On ne sent que la révolte, la rage d’en finir. Et le danger du point de vue de Ionesco, c’est de comprendre l’art de sa mère, ici Isabelle Huppert. De ce que la réalisatrice nous en donne. Et aussi étrange que cela puisse paraître, je peux comprendre la démarche de sa mère. Comme elle le dit, elle n’a pas eu d’attouchement avec sa fille, mais force est de reconnaître que les photos de nues de sa filles mineure diffusées à la vue de tous sont considérées comme un viol, une contrainte, un attouchement. Voilà pourquoi, si un autre réalisateur avait traité le sujet, peut-être n’y aurait-il pas eu ambiguïté. On dit souvent : "On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui." Concernant l’art, les Parnassiens disaient : « L’art n’a pas vocation à être vertueux, ni à être utile. L’art pour l’art ». Qu’entendent-ils par vertueux ?