Suite probable de «Le Père Noël a les yeux bleus» (France, 1966), «La Maman et la Putain» (France, 1973), Grand Prix au Festival de Cannes, se manifeste comme étant le plus grand film de Jean Eustache. Grand film tant par sa durée, par son audace (plus de 3h30 en noir et blanc) que par propulsion dans un imaginaire agreste. Un lyrisme qui rafle tous soucis de narration, toute anxiété de réalisme. Eustache, qui infiltre cette sensation de façon embryonnaire dans ses autres films (cf. la poésie prosaïque de «Les Mauvaises fréquentations?» (France, 1963)), donne ici toute la verdeur de sa poésie, crépite alors les dialogues tonnés par les personnages bonaces, délégués des tourments eustachiens. L'histoire est celle d'Alexandre, interprété par le grandiose Jean-Pierre Léaud, partagé entre Marie, sa femme consensuelle, la Maman (Bernadette Lafont) et Veronika, son amante officielle, la Putain (Françoise Lebrun). Et l'oeuvre n'adhère jamais à l'intellectuel, croire cela ce serait se contenter du film comme préjugés. Dérision tout le long, scandé par des flamboiements d'émotions pures jamais sentimentalistes. Les homélies de Léaud, sciemment reconnues prétentieuses, sont corroyées de sarcasme. C'est ainsi que semble procéder le réalisateur, nous brimbalant dans les degrés des propos, dans les versatilités de l'amour, le meilleur exemple demeurant le monologue de plus de cinq minutes de François Lebrun sur la baise et l'amour. La simplicité exubérante du film happe inévitablement. «La Maman et la Putain», fomenté d'une plastique Nouvelle Vague en retard -le film date de 73-, confine indubitablement au un chef d'oeuvre qui nous inhale entièrement, nous transportant dans une réalité concrète enivrée de liesse battante. Jean Eustache réalise un des plus grands films français, modelé dans le moule suicidaire de son destin. Merveille du cinéma.