Longtemps catalogué comme le cinéaste de l'immigration entre Allemagne et Turquie, après le succès critique de "De l'autre côté" essentiellement tourné à Istanbul, Fatih Akin a décidé de tourner un film 100 % allemand, et pour être plus précis, hambourgeois. Ce retour aux sources est symbolisé par le choix de l'acteur principal, Adam Bousdoukos, qu'il a connu au collège et qui comme d'autres protagonistes du film tel Birol Ünel, appartient à ce qu'à Hambourg on appelle la bande à Fatih.
Alors certes, on n'est pas dans "Derrick" ou "La Clinique de la Forêt Noire" (malgré la photographie un peu verdasse typique des films d'Outre-Rhin), tant les protagonistes de cette histoire de gargotte alternative proviennent de partout : Grecs, comme les deux frères Zinos et Ellias, Gitan, comme Shayn, Turcs, comme la kiné qui le prend en charge après qu'il se soit fait un tour de reins, ou comme le rebouteux aux méthodes musclés qui finit par le remettre d'aplomb. Les Allemands de souche n'ont pas forécement les beaux rôles, à l'instar de Neumann, promoteur arriviste et véreux, ou de la contrôleuse du fisc nymphomane. La future ex-copine de Zinos, la très bourgeoise Nadine, s'en sort un peu mieux, ainsi que Sokrates, le SDF qui squatte le hangar de Zinos tout en le traitant de sale étranger.
Fatih Akin explique d'entre les tournage de "Head-on" et de "L'autre côté" et celui du troisième film à venir de sa trilogie sur l'immigration, il avait envie de faire un break, et d'écrire une comédie. Il raconte : "J'ai proposé le scénario à un autre réalisateur qui a trouvé l'idée absconse : pourquoi m'empêcher de faire le film dont j'ai envie ? J'avais peur des réactions et de la hype parce que la comédie n'est pas un genre considéré : c'est tellement léger que ça donne à beaucoup l'impression de facilité. Avec le recul, je me rends compte que j'avais tort : réussir une comédie n'est pas aisé."
Alors, l'a-t-il réussi ? Pour être franc, on n'est pas plié en deux d'un bout à l'autre du film, même si quelques gags fonctionnent plutôt bien, comme l'élément perturbateur de sa hernie discale sur ses amours par webcam ou la place que prend un bouton dans la résolution finale. Mais de toute façon, plus qu'une comédie proprement dite, "Soul Kitchen" est plutôt une comédie de moeurs, et la description un brin nostalgique du Hambourg de son adolescence.
Fatih Akin possède un indéniable sens du rythme, nécessaire pour concentrer les nombreux rebondissements en 1 h 39, et ses choix de cadrage (caméra mobile, recours au grand angle) et de montage (nombreuses ellipses de temps suggérées par un montage clipesque) s'adaptent à ce tempo. Le jeu des acteurs est lui aussi survitaminé, et nuit un peu à l'empathie nécessaire envers les personnages, particulièrement celui d'Adam Bousdoukos qui finit à force de gueulantes à rendre Zinos peu sympathique.
Il y a quelques très belles scènes, comme le coup de foudre d'Illias pour Lucia, filmé dans la lumière stroboscopique et bleutée d'une boîte de nuit, ou la vision subjective au grand-angulaire de la fin de party au Soul Kitchen. La bande originale évoque celles de Tarantino par son éclectisme, et Fatih Akin justifie cela par le fait que la particularité des boîtes à Hambourg est le métissage des influences musicales et la prédominence de la Soul. Meilleur dans les scènes de groupes que dans les scènes plus intimistes, "Soul Kitchen" est un film sympathique un peu foutraque, pas toujours très fin, mais porteur d'un optimisme qui fait du bien.
http://www.critiquesclunysiennes.com