Rapidement, dans Soul Kitchen, le personnage principal se casse le dos et va ainsi souffrir pendant près d'1H30 ; la coïncidence est éloquente, car c'est tout le film qui souffre d'immobilisme. Il est assez étonnant de constater qu'un cinéaste aussi sensuel que Fatih Akin - voir Head-On, film nerveux, terriblement physique, excitant - accouche d'une oeuvre aussi plate, aux situations terriblement convenues et à l'écriture ultra-paresseuse.
Le scénario du film est un modèle, mais un modèle à ne surtout pas suivre, parce qu'il n'a pas l'air de développer grand-chose et se contente de construire son action sur des situations et des personnages plus stéréotypés les uns que les autres. Les enjeux, qu'ils soient amoureux ou professionnels, sont d'une pauvreté dramatique absolue. Fatih Akin fait le strict minimum, et c'est d'autant plus agaçant que le ton du film, qui se veut comique, ne fonctionne jamais. Le classicisme de l'histoire aurait alors pu être sauvé par une légéreté de ton et un engouement humoristique, mais le côté conventionnel des gags fait rapidement déchanter le spectateur. Un vrai festival de lieux communs donc, une volonté d'aller dans le burlesque qui se casse trop souvent la gueule. C'est que Fatih Akin n'a pas vraiment de talent pour le rythme comique, ni pour filmer les corps et donner à leurs diverses mutations et leurs mésaventures un ton drôle. C'est sûrement le visage que doit filmer Akin, et rester ainsi dans une posture dramatique qui atteignait pleinement son but dans ses précédents films.
Une séquence du film est totalement réussie, donnant par ailleurs la possibilité au spectateur ( déçu ) de nourrir des regrets : celle de l'aphrodisiaque, mélangé à un dessert, et qui libérera la sensualité des clients et des personnages principaux du film. C'est un moment totalement à part, où le film sort enfin de son consensus, se défait de ses chaînes pour quitter sa position étriquée. Cette séquence où les corps se touchent enfin contraste donc avec la partie majoritairement coincée et inoffensive du film, elle est comme un miracle au sein d'une oeuvre trop timide et paresseuse. Le précédent film de Fatih Akin était une ode à l'ouverture ( d'esprit, et donc aux autres ). Le cinéaste semble avoir oublié le message avec son petit dernier, film replié sur lui-même, raté d'un bout à l'autre et qui manque cruellement d'âme.