Bien loin d'être la simple pantalonnade grossière fustigée lors de sa sortie à Cannes, La Grande Bouffe est une pièce incontournable dans la filmographie de Marco Ferreri sur laquelle bon nombres d'intellectuels philosophent encore aujourd'hui.
Le film brille avant tout pour son côté comique, ses gags inattendus et ses dialogues géniaux majoritairement improvisés par les comédiens, dont les performances respectives relèvent de l'incroyable tant ils semblent naturels. On relèvera aussi le côté formel très sobre du réalisateur italien, qui pose une ambiance placide à l'aide de cadrages souvent immobiles et intelligents dans leur composition, tout en plan-séquences discrets, pour un résultat d'une rare maîtrise. Le tout intervient sous la forme d'une méditation sur l'être humain, se muant petit à petit, en parabole sur la vie et la mort.
Le portrait qu'il trace de l'espèce humaine n'est pas glorieux, car il montre avant tout l'homme dans ce qui lui fait le plus honte. Il lui soustrait l'intellect, pour ne lui laisser que son côté le plus sauvage, son état d'animal vorace et malpropre. Ainsi, cette ribambelles de goinfres mangent, baisent, pètent et chient à l'écran ce qui choqua un grand nombre de spectateurs à l'époque.
Pourtant, ce délire scatophile n'est pas entièrement conçu dans un but de salir l'homme dans sa plus profonde nature, car c'est aussi l'aboutissement filmique d'un fantasme que Ferreri ne conteste pas. Inverser le processus vital (manger pour mourir et non pas pour vivre) pour retrouver une certaine forme de régression à l'état originelle, autrement dit de regressus ad uterum, est le thème majeur de ce film incompris, à l'image de l'une des dernières scènes du film durant laquelle noiret (attention Spoiler) se suicide en ingurgitant deux gâteaux représentant des seins proéminents. (fin du spoiler)
On constate donc que la nourriture n'est pas un simple artifice destiné à flatter l'appétits des acteurs, mais qu'elle occupe une place sensuelle, voir même carrément érotique comme chez un certain Wong Kar-Wai.
Pour conclure, Ferreri considère avant tout que son film parle d'amitié, de compréhension et d'amour. La Grande Bouffe est donc un plat raffiné qui se déguste avec passion et non sans une certaine gourmandise féroce.
Un chef-d'oeuvre.
« Tu dois manger – Si tu ne manges pas, tu ne vas pas mourir ».