Je commencerai par dire que faire une adaptation d'un livre n'est pas chose aisée. Adapter un excellent livre l'est encore moins. C'est pourquoi j'avais d'ores et déjà des aprioris sur ce film au casting douteux. Il s'est avéré que toutes mes craintes envers ce film étaient fondées. Je développerai ici mon avis et les raisons qui me poussent à penser que ce film est une mauvaise adaptation et un mauvais film en soi.
Abordons tout d'abord les personnages, le casting et les problèmes qu'il apporte. Ben Barnes, n'est pas un bon Dorian Gray. Non seulement il ne ressemble en rien à la description du livre - ce qui n'est pas un réel problème s'il n'est pas appuyé par d'autres -, mais son comportement diffère totalement. Ben Barnes a un visage et un regard dit ténébreux, ce qui ne colle absolument pas avec l'aura angélique du personnage de base, qui engendre cet envoûtement chez les gens et les empêche ainsi de découvrir son secret. D'autant plus que, probablement à cause du réalisateur, son jeu d'acteur n'est clairement pas bon et ses phrases, censées elles aussi envoûter, passent très mal et n'ont aucun panache. Lorsque les deux aspects de Dorian Gray qui font de lui ce qu'il est - à savoir sa beauté angélique et ses tirades de jeune homme innocent qui prend de l'assurance - sont complètement absents, on peut considérer que le personnage est raté. De manière générale, je trouve que prendre des libertés artistiques permet au réalisateur de s'approprier l'univers, d'y apporter sa touche personnelle pour un rendu plus subtile et peut-être plus actuel. Dans le cas présent, les grandes libertés qu'il a prise ne servent strictement à rien, puisque l'issue du personnage demeure la même, son évolution est identique alors que le Gray de Ben Barnes part avec une moins grande volonté de cacher sa luxure que celui du livre. Il s'agit d'un non-sens total.
Point positif, Colin Firth parvient à nous livrer un Henry convainquant, quoi que bien moins spectaculaire et sarcastique que celui du livre, et ce malgré l'incompétence du réalisateur. Je regrette seulement qu'on l'ait privé de tous les discours moralisateurs plus longs que quelques phrases hasardeuses lancées à l'arrache, qui faisait tout l'intérêt du personnage.
Que dire de Sibyl? Sa grandeur en tant qu'actrice n'est pas rendue puisqu'on ne la voit pas un seul instant jouer sur scène. Le personnage est fade, naïf, ce qui pour le coup est assez semblable à celui du livre. Cependant on ne comprend absolument pas qu'il s'agit d'une intention puisque le moment où elle supplie Dorian Gray de façon pathétique pour qu'il la reprenne est expédié en 15 secondes à peine. Nous n'avons donc pas le temps de contempler la dépendance qu'elle a développée vis-à-vis de lui et qui la démunit ainsi.
Basil Hallward. Pas particulièrement mal casté, juste un personnage quelque peu inutile, qui n'apporte aucune réflexion. Ce qui me dérange est sa mort. Basil est censé disparaitre, Dorian Gray fait tout pour qu'on ne retrouve plus jamais son corps, et ainsi, empêche sa propre culpabilité de refaire surface. Ici, la découverte du corps implique que Gray est forcé de faire son deuil et d'affronter ses actes. Est-ce plus mal? Je dirais que cela ne colle pas avec la chronologie de l'histoire. Cet événement survient bien trop tôt pour coïncider avec le moment où Gray commence à se remettre en question et à revenir sur son passé plein de vices.
En conclusion, nous avons à faire à une ribambelle de personnages fades sensés rivaliser par leur splendeur et leurs univers personnels immensément riches. Toute la subtilité de Wilde insufflée dans ces personnages complexes est déjà anéantie.
Passons maintenant à la réalisation. D'un livre aussi intelligent qui repose sur les longs dialogues et les réflexions poussées sur la beauté et l'Art, on attendrait une adaptation belle visuellement, à la mise en scène esthétique, reflétant le propos. Il n'en est rien. Les couleurs, globalement sombres, sont peu remarquables, les cadres sont choisis sans but précis, l'image ne décrit rien. Le rythme est rapide, par moment effréné, au dépit de l'ambiance qui ne parvient à aucun moment à s'installer puisqu'aucune scène ne dure plus de cinq minutes. Chaque plan du portrait ou de la pièce dans laquelle il se trouve est accompagné d'un râle dégueulasse - pour bien rappeler l'immondice du portrait si vous l'aviez oublié - sans intérêt si ce n'est celui d'effrayer le spectateur. Les quelques effets spéciaux sont laids et pas un instant crédibles.
Parlons de l'histoire en elle-même et des libertés qui ont été prises avec l'oeuvre originelle. Le début ma foi y ressemble assez, quoi que la partie avec Sibyl soit bien plus rapidement expédiée mais passons. Le film présente de nombreuses scènes où l'on constate la débauche de Dorian Gray (peut-être que Wilde aurait souhaité en inclure lui-même mais s'est auto-censuré, ce qui, rappelons le, n'a pas suffi), et en soi, cela a du sens. Mais il semble arborer cette débauche presque publiquement, sans retenue. Je trouve cela fort out of character.
Le scénariste a choisi de supprimer toute la partie concernant la passion de Gray pour les bijoux, la musique, les tapisseries, qui amenait une réflexion intéressante sur la fuite du temps, au profit de la création d'un nouveau personnage: Emily Wotton, jouée par Rebecca Hall. Il s'agit de la fille de Henry, bien plus jeune que Dorian Gray mais qui en tombe amoureuse. Qu'apporte ce personnage? Il est sensé redonner à Gray foi en la vie et en ce qui est Bien, lui faire redécouvrir une partie de lui qu'il avait oublié et qu'il veut maintenant retrouver, ce qui l'amènera finalement à détruire le portrait, source de tous ses malheurs. Dans le livre, c'est Dorian seul qui voudra se repentir, hanté par la pensée que le frère de Sibyl vienne se venger. Le fait que cela soit provoqué par Emily engendre la proximité entre les deux et donc la colère d'Henry qui se doute que quelque chose cloche chez ce jeune homme qu'il a toujours admiré. Ce doute n'apparait pas dans le livre, où Henry continue à encourager Gray jusqu'à la fin. Pourquoi pas, mais ce qui est dérangeant, c'est toute la dérive de fin, où Henry et Dorian Gray se battent au milieu des flammes lorsqu'Emily arrive. Cela implique donc qu'Henry découvre le secret de Gray tandis que ce dernier vit encore. Je ne vois pas ce que cela apporte de plus comme message, cela ne fait que démystifier le personnage de Dorian Gray.
Concernant le frère de Sibyl mentionné plus tôt. Il s'agit pour moi d'un des plus gros défauts du film. Quel est l'intérêt de le faire intervenir dès le début dans cette tentative d'assassinat? Puisqu'au final, c'est une expérience que Gray semble oublier assez vite. On le retrouve tout de même dans les bas-fonds à attaquer Gray lorsqu'il y passe par hasard. Il se défend de la même manière que dans le livre, à savoir en mentionnant son âge. Ils sont sensés en rester là et Jim Vane n'intervient qu'en songe ou lors d'hallucinations qui renforcent la paranoïa de Gray, lui rappellent constamment ce qu'il a fait de mal. Dans le film, on ne voit qu'une seule brève hallucination, qui ne semble pas plus que cela inquiéter le gentleman. Aussi, faire revenir Jim pour à nouveau attaquer Gray en plein centre ville, course poursuite qui finit dans la bouche du métro, casse tout l'enjeux qu'il impliquait. Si Jim meurt, Dorian Gray n'a plus aucune raison de s'inquiéter qu'il revienne le tuer. Et l'une des raisons principales qui le fait reconsidérer son amour pour l'immortalité est supprimée.
Passons aux messages. Je dirais que sans avoir lu le livre, on voit difficilement la réflexion sur la beauté, la jeunesse et leur caractère éphémère. Et les liens qui unissent l'Art et la vie que suggeste le livre sont tout bonnement absents. Nous n'avons droit qu'à quelques petits aphorismes non développés lancés par Henry au coin d'un couloir. Pas le temps de s'arrêter, se poser et réfléchir sur la question. Aucun débat entre les personnages, qui permettent justement de se forger son propre avis sur la question.
Pour finir, je voudrais mentionner la liberté artistique. Comme dit précédemment, elle permet de nombreuses choses et peut parfois offrir un nouveau point de vue sur une oeuvre. Concernant Dorian Gray, les nombreuses libertés artistiques prises dans ce film n'offrent pas cette nouvelle perspective, elle suppriment simplement celle de l'auteur. Les créateurs du film se sont contentés de reprendre l'histoire d'un homme qui ne vieillit plus et dont le portrait reflète tous les vices, sans inclure toute la portée philosophique de l'oeuvre, vantée depuis des années. En clair, un bel échec.