Il y a du Buster Keaton chez Elia Suleiman, quand il se tient devant la caméra pour jouer son propre rôle, impassible, yeux à fleur de peau, bras ballants; l'histoire de Nazareth, maisons blanches aux jolies petites cours avec leurs pots de fleurs luxuriantes, oliviers géants (sous lesquels on fusille); l'histoire de la famille Suleiman, étrangers enfermés dans leur pays natal, il eût été facile de les peindre sous une lumière dramatique. L'originalité, la force du film de Suleiman, c'est de gommer le drame, de revisiter le destin de sa famille avec un oeil décalé ; partout, des petits traits sarcastiques; le soldat israélien trop petit pour bander les yeux du condamné qui va chercher une pierre pour grimper; vue à travers les fenêtres d'un hôpital, la course poursuite entre soldats et personnel hospitalier: entre, le brancard où on a déposé le combattant palestinien blessé.... Dans une autre scène, qui cette fois ci se passe à Ramallah, dans un contexte beaucoup plus pesant, la tourelle d'un char suit les mouvements d'un jeune homme qui vient de déposer un sac plastique dans une poubelle (suspect) et arpente la rue avec animation: il donne, dans son téléphone portable, des indications à un pote pour une soirée disco... le soir venu, devant la soirée, les flics israéliens beuglent dans leur porte-voix "couvre-feu! couvre-feu!" tandis que l'un d'entre eux scande avec la tête le rythme de la musique... Le film commence en 48 avec la passivité ahurie par laquelle les édiles palestiniens "accueillent" leurs colonisateurs. Ce qu'on peut lui reprocher ce sont quelques longueurs, un emploi un peu excessif du comique de répétition, nécessaire pour nous faire ressentir l'enfermement de ces vies qui se réduisent au ressassement des mêmes gestes. Il faut évidemment aller voir ce film indispensable pour comprendre le tragique de ces vies palestiniennes volées, creuset où s'est fabriquée la violence de notre monde actuel et où ont germé ses monstres les plus affreux: Al Quaïda.