Sujet vieux d'une vingtaine d'année, Werner Herzog a véritablement peiné à trouver un producteur intéressé, ou alors digne d'un projet aussi profond que Dans l’œil d'un tueur (My Son, My Son, What Have Ye Done en version originale). C'est David Lynch qui, en 2008, relance le projet, pendant que Herzog finissait sa version de Bad Lieutenant avec Nicolas Cage. C'est donc dans la foulée que le l'indétrônable réalisateur allemand se penche sérieusement sur son film, s'entourant d'un casting de prestige. Il est clair que Werner Herzog sait user de sa notoriété pour regrouper une brochette d'acteurs de renom, tels que Michael Shannon, Willem Dafoe, Chloë Sevigny ou encore l'habitué Brad Dourif...
D'un point de vue scénaristique, Dans l’œil d'un tueur ne s'avère pas vraiment innovant. Deux détectives se rendant sur les lieux d'un soi-disant meurtre, le meurtrier restant cloîtré dans sa maison, refusant tout contact avec l'extérieur. Mais ce qui, d'emblée, distingue le travail d'Herzog de tout autre film s'y apparentant grossièrement, c'est ce climat des plus atypiques et stationnaires qui, il faut le dire, accompagnera le spectateur tout au long du film. Car dès les premières minutes, ce dernier sait qu'il devra s'adapter à cette ambiance peu commune, où le caractère stéréotypé de certaines scènes semble se perdre dans une atmosphère psychédélique, parfois loufoque et dénuée de tout esprit cartésien, accompagné bien évidemment d'airs musicaux des plus envoûtants. Le travail du réalisateur réside décidément sur ce désir d'accentuer au maximum le sous-entendu, l'allégorie, rendant ainsi un propos ouvert à de multiples interprétations, mais gardant toujours sous sa veste les fondements de son sujet.
Inutile de rédiger ici toute tentative d'interprétation tant le film d'Herzog fait part d'un esprit surréaliste. Dans la peau de son personnage principal, le réalisateur y développe une intrication des plus sombres et complexes. Entre révélation progressive et sentiment de perdition intense, Michael Shannon campe un personnage effroyablement torturé, au questionnement existentiel et passionné de théâtre, délivrant inconsciemment ses multiples carences affectives et émotionnelles, à l'image de son invariable relation avec sa mère. Herzog effectue un véritable diagnostic de son principal protagoniste, dans l’œil d'un tueur, caractéristique fondamentale d'une structure narrative éclatée, creusant toujours au plus profond la psychologie du personnage central, afin d'y trouver les éléments perturbateurs. Une narration irrégulière, alimentée par des cadrages fixes, des silences soudains et des airs musicaux psychédéliques, Herzog prend décidément le spectateur à contre-pied, rendant secondaire l'enquête policière pour se pencher en priorité sur la psychologie de son personnage, de quoi donc justifier cet aspect si décalé de toute réalité... Le spectateur au centre du spectacle.
A travers Dans l’œil d'un tueur, Werner Herzog fait preuve d'une identité artistique sans commune mesure. Le réalisateur passionne par ses passions telles que le théâtre, la photo, la peinture ou la musique et les retranscrit amoureusement dans son film pour en livrer un travail maturé, pur et unique en son genre. Le cinéma de Werner Herzog ne cesse d'évoluer, de s'embellir et de s'aboutir pour finalement ne jamais arriver à terme. Le véritable amour pour l'art n'a décidément pas d'unité de mesure, il se vit et se partage, c'est déjà pas mal...