L'une des composantes du cinéma de Jacques Tati, c'est ce regard critique et pointu sur la société et son évolution permanente, sur le modernisme urbain et technologique et la place de l'Homme au milieu de tous ces changements. On peut légitimement se dire que "Playtime" représente le point d'orgue de cette composante. Que dire d'un tel film ? Pendant près de deux heures, Paris est transformée en une mégalopole américaine complètement impersonnelle. Tout n'est que béton, verre et uniformisé. En plein coeur, les gens se croisent, se parlent, mais sans vraiment se voir et sans vraiment s'écouter. Malgré ce grouillement de population, on a comme une impression de déshumanisation. D'ailleurs, un peu plus tard, l'impression laisse la place à la confirmation lorsque sont filmés ces espèces de box dans lesquels bossent des salariés répondant au téléphone. Ils sont à quelques mètres, mais complètement cloisonnés. L'évolution technologique, quant à elle, se caractérise par cette console à l'entrée du building. Si Hulot n'y touche pas, il en observe attentivement le fonctionnement. Un tel passage, même si le personnage principal n'agit pas, renvoie de suite à la "Party" de Blake Edwards ainsi qu'à "Mon oncle" du même Tati. Le titre du film laisse entrevoir l'exaspération de Tati face à la vieille Europe se laissant gagner par l'américanisation. Tout du long, on peut relever bon nombre d'anglicismes : "Drugstore", "Pharmacy", "Cheese", la marque Marlboro et bien d'autres encore. Comme on est chez Tati, la réalisation est impeccable. La maîtrise du cinéaste n'a jamais été aussi flagrante. En témoigne la scène des appartements vitrines, filmée en plan-séquence et de l'extérieur. Telle qu'elle nous est montrée, on dirait que les occupants s'observent mutuellement. Alors qu'ils ne font qu'en fait que regarder la TV, encastrée dans le mur. De par cette réalisation au top, la dernière séquence, montrant un embouteillage monstre, prend des allures de carrousel. Et bien sûr, chaque plan recèle de trouvailles, de petits trucs que l'on ne voit pas de suite. Malheureusement, il y a deux tendons d'Achille. Déjà, il y a beaucoup de dialogues en langue étrangère (italien, allemand, anglais) et aucun sous-titres. C'est voulu, cela apporte un côté cosmopolite et renforce cette non-communication, mais c'est assez chiant aussi. Et ensuite, tout ce qui se passe au Royal Garden est long, beaucoup trop long. La rupture de ton est telle que l'on a limite l'impression de regarder un autre film. Et, à titre personnel, je ne vois pas clairement la finalité. Ce qui m'empêche de mettre une note supérieure, et par supérieure, je veux dire la note maximale, c'est ce passage. "Playtime", c'est le film à voir de Tati, mais, à titre personnel, je lui préfère ses deux prédécesseurs.