Bon film de Ken Loach, sur la relève d'un homme dont la vie bascule vers le côté obscur de la force - je veux dire décadence psychologique, familiale, vitale, socio-professionnelle... En soi, donc, un film plutôt sympathique - au sens d'un film "de gauche" : ça parle la quasi misère, le laisser-aller dans la pauvreté, en somme l'horizon du film tente d'être le plus représentatif possible d'une réalité bien malheureuse, dans une ville post-industrielle comme Manchester. Ce qui fait la richesse d'une vie n'est pas l'argent, puisqu'il n'y en a guère: c'est plutôt la choppe de bière dans le pub du coin, quand ce n'est pas la petite combine illégale comme la rapine pour subsister. Tout ça est bien traduit, si l'on veut, dans la mise en scène du domicile d'Eric Bishop, le personnage principal, qu'on voit au début du film dans un état de délabrement et de bordel assez significatif. La seule richesse - richesse étant bien entendu ici à prendre avec toute l'ironie possible - c'est le nombre impressionnant de Téléviseurs, presque derniers cris, qui sont présents dans chaque pièce de la baraque.
Bref, ça c'est l'horizon général dans lequel se développe le film, et bien caricaturé par la première scène, qu'on ne comprend qu'après, où Eric est dans sa voiture, un peu cinglé, et tourne autour d'un rond point en sens inverse, la tête dans le guidon. Mais tout ça, c'est en quelque sorte le symptôme à partir duquel Ken Loach a décidé de partir pour accéder à la cause du problème, à l'origine des maux. Cette origine, c'est l'échec de son premier mariage et la séparation d'avec ce qu'il faut bien appeler la femme de sa vie, Lilly, qu'il a abandonné par peur, peur devant sa responsabilité de père. Bref le trajet psychologique d'Eric est une longue descente aux enfers, à partir de cette première fuite de la réalité, puisque chaque action n'est que l'occasion d'une perte supplémentaire de confiance, d'une nouvelle fuite, d'un nouvel abattement. En somme, Eric est une mauvaise conscience : comme condamné au remords, à la conscience toujours réitérée de l'échec et de la fuite, il est le peureux qui perçoit sa faute et sa culpabilité partout, en permanence. Tout ça sur fond d'échec familial : Lily ne lui parle plus, ses deux beaux-fils qui habitent chez lui font la loi, et lui s'enterre encore plus, jusqu'à voler du chichon dans la cache de l'ainé.
Là-dessus, événement un peu drôle et surtout un peu farfelu, apparition de Cantona, l'anti-Eric Bishop, l'homme du charisme naturel, de la confiance absolue, du courage, bref, du vainqueur. Le héros de Bishop, son double (Eric), mais inversé, l'anti-Bishop, vient sauver Bishop sous la silhouette d'une projection psychologique, d'un dernier recours inconscient, ou je ne sais quoi... Au-delà de l'amusement, on ne comprend quand même pas trop cette vérité inconsciente, ce bien inconscient, enfoui, mais toujours là pour sauver la conscience au dernier moment. On dirait du Freud raccourci et raté... Bon cela dit, le personnage de Cantona - lui-même, donc, mais projeté par l'inconscient de Bishop - est réussi, parce qu'il n'est pas pris au sérieux, parce qu'il est même moqué. On retrouve donc un Canto hyper-cliché (qui a explicitement pris du plaisir à ce petit jeu d'auto-dérision), avec des proverbes super prétentieux et non crédibles (du genre "ne lâche jamais rien", "la victoire n'appartient qu'à celui qui prend des risques"...), contre lequel Bishop lui-même se révolte (donc conscience qui se moque de l'inconscient, ce qui sauve un peu le tableau).
Dans l'ensemble, bonne réalisation, sans trop en faire comme d'hab, et très bon jeu des acteurs (notamment Steve Evets, alias Bishop), Canto compris. Un peu trop d'insistance sur les jurons, quand même, on a compris au bout d'un moment (fuck...). Bonne incursion malgré tout dans ce milieu anglais du football, avec ses fans à la limite du hooliganisme, de la ferveur, de la passion, où rien ne compte d'autre que le foot. Et puis idée ("de gauche" encore une fois) que le groupe, le collectif, comme dans une équipe de football mais ici transposé à la vie quotidienne, sont toujours plus forts que l'individu, que la conscience malheureuse ou la brute solitaire : ça c'est quand même un peu chiant à la longue, et on nous rabat les oreilles avec cette idée mégarelou (société égoïste et individualiste, nous t'opposons notre âme collective...)... Ken, Ken, c'est pas aussi simple, tu sais... Ce qui est drôle (affligeant), c'est que le film transpose cette idée aussi reçue qu'inefficace en termes de football : ce que dévoile Canto, c'est qu'il n'a pas été surtout marqué par ses buts (individualisme, égoïsme, culte de soi, idolâtrie), mais par une passe (collectif, générosité, bienveillant, altruisme...). Bon côté musique c'est pas énormissime, à part un truc que j'aime bien, les chants collectifs (ici de supporters), mais c'est raté.
Donc 14/20
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