Il y a toujours chez Ken Loach des groupes de gens unis par un même combat et par une même appartenance qui permettent au héros de surmonter son isolement et de faire échec aux exploiteurs : cheminots, squatters, travailleurs immigrés de Californie, combattants des Brigades Internationales ou de l'indépendance irlandaise... Ici, il s'agit de postiers, représentants de ces services publics malmenés par des décennies d'ultralibéralisme, et qui incarnent une nouvelle fois la solidarité de la Grande-Bretagne d'en-bas.
Mais il ne s'agit pas de n'importe quels postiers : ce sont des postiers de Manchester, et si on les voit se déchirer, ce n'est pas entre supporters des red devils et des Citizen de Manchester City, mais au sein de la famille rouge, entre légitimistes et membres du F.C. United, le club créé par les supporters opposés au rachat du club par Malcolm Glazer. Car quand Ken Loach s'intéresse au football, il ne peut s'empêcher de montrer qu'aujourd'hui les ouvriers ne peuvent plus se payer de places au stade, alors que les petits caïds s'offrent une loge à Old Trafford.
La querelle entre partisans du F.C. United et de Man U donne lieu à une de ces scènes savoureuses de débat populaire que Ken Loach sait si bien mettre en scène. Autre scène typique de l'affection que le réalisateur porte à ses personnages, la séance de thérapie de groupe animée par Meatball, le chef de la bande féru de bouquins de psychologie appliquée, et qui invite ses collègues à s'imaginer dans la peau de leur idole, ce qui permet la réunion de Castro, Mandela, Ghandi, Sammy Davis Jr, Franck Sinatra et bien sûr, d'Eric Cantona.
Cantona, donc. On sait que c'est Eric the King lui-même qui a contacté Ken Loach pour lui proposer l'idée de la rencontre improbable d'un fan et de son idole. Paul Laverty, le scénariste de dix films du réalisateur de "Le Vent se lève", a alors eu l'idée de faire sortir Cantona de son affiche, un peu comme les personnages descendant de l'écran dans "La Rose pourpre du Caire". Cantona, maudit dans le foot français et adulé Outre-Manche, campe un personnage plus cantonesque que nature, comme il le justifie dans une réplique déjà culte : "I'm not a man, I'm Cantona".
Paul Laverty s'est amusé à lui écrire des proverbes du type "Qui sème des chardons, récolte des épines" ou "La plus noble des vengeances, c'est de pardonner", référence à la célèbre phrase lâchée par Cantona lors de l'affaire du mawashi-geri de Crystal palace qui fait dire à Eric, l'autre : "Je ne me suis jamais remis de tes foutues mouettes". Partageant un joint avec son protégé, jouant de la trompette ou servant de préparateur physique, l'acteur Cantona rend le personnage Cantona crédible, alors qu'on nage en plein fantastique.
"Looking for Eric" n'a pas la dimension épique de "Land and Freedom" ou de "Le Vent se lève", ni l'âpreté de "Family Life" ou de "Ladybird". Il n'en est pas moins un film jubilatoire, qui fait penser par moment aux meilleurs Capra, et une nouvelle affirmation des valeurs de solidarité et de foi dans l'humanité qui ont toujours structuré les oeuvres du plus attachants des réalisateurs britanniques.
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