Quand j’ai vu que le réalisateur du très intéressant « Sin Nombre » s’attaquait à la dix-huitième adaptation au grand écran du chef-d’œuvre de Charlotte Brontë, je me suis léché les babines, curieux de voir ce qu’allait en faire un metteur en scène dont le style tendu magnifié par une très belle photographie avait su donner vie à l’histoire tragique de deux gosses pris dans les griffes de la Mara salvadorienne. En effet, quel grand écart entre cette histoire moderne traitée avec une précision et une sécheresse proche du documentaire, et ce classique de la littérature romantique, entre deux univers si contextualisés et si différents, l’Amérique centrale d’aujourd’hui et l’Angleterre du milieu du XIX° siècle.
Le résultat est déconcertant, justement parce qu’il est sans surprise. Si on retrouve une très belle photographie, un soin particulier accordé au choix des cadres, et particulièrement une alternance de plans serrés sur les visages ou les mains et de plans de grand ensemble, comme cette plongée digne de « La Mort aux Trousses » sur Jane Eyre perdue dans la lande, c’est à peu près tout ce qui reste du style de « Sin Nombre ». Normal, direz-vous, vu le grand écart évoqué plus haut. Mais Cary Fukunaga n’apporte pas non plus de nouveauté et d’originalité dans le traitement de cette histoire si souvent adaptée. Au contraire, il fait souvent preuve d’un académisme compassé, et son sens du rythme semble gelé par le difficile exercice de réduire 736 pages à 1 h 55.
De ce point de vue, l’objectif est atteint. A l’aide d’un point de départ du récit au deux-tiers de l’histoire et de nombreux flash-backs, le scénario restitue fidèlement les principaux moments du roman. Mais en choisissant de centrer l’intrigue autour de l’affrontement amoureux de Jane et de Rochester, il accorde beaucoup d’importance aux scènes de dialogue, et ne s’autorise que quelques échappées dans des scènes plus réussies comme l’évocation de l’internat dickensien, ou comme le choix d’exagérer la dimension gothique du manoir de Thornfield-Hall.
La volonté de précision de la reconstitution se voit partout : choix des intérieurs et des extérieurs, manoirs et paysages, gamme chromatique des costumes, éclairage kubrickien à la bougie. Mais ces accessoires engoncent les personnages, et le jeu très intériorisé de Mia Wasikowsaka (à la Star Ac, on lui aurait dit qu’elle est mono-expressive !) et de Jaimie Bell renforce cette impression de componction qui finit par rendre le récit pesant et pour tout dire, un peu mou du genou. Le film a les qualités et les défauts de ce choix de la fidélité à l’intrigue et à l’ambiance. Il se laisse regarder parce que l’histoire est forte, la réalisation léchée et les acteurs impliqués. Mais il maintient aussi le spectateur à distance par manque de fantaisie et de touche personnelle.
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