Nouvelle adaptation cinématographique (soignée) du célébrissime roman de l'aînée des soeurs Brontë, Charlotte : Moira Buffini (d'origine irlandaise) au scénario (on se souvient de son "Tamara Drewe" en 2010 pour Frears) et Cary Joji Fukunaga (Américain d'origine nippo-suédoise, surtout connu jusque-là pour "Sin nombre", sorti en 2009) à la réalisation. "Jane Eyre" est une somme de plus de 500 pages, comportant de nombreux personnages, reprenant beaucoup de la vie de son auteur (récit à la première personne présentant une jeune fille au physique banal mais d’une nature passionnée, enseignante après de longues années passées dans une pension sinistre etc.) avec de multiples digressions. La scénariste est fidèle à l'essentiel de la trame principale, même si l'histoire débute par la fuite nocturne de l'héroïne après son mariage avorté, et sa rencontre inespérée avec les Rivers (qui s'avéreront être des cousins de la branche Eyre, ce que le film n'indique pas - et qui pourtant rend plus compréhensible la générosité de Jane, légataire universelle des biens d'un oncle paternel commun vivant à Madère, à leur endroit), pour ne revenir à la chronologie du livre que via ses souvenirs. Le rythme général est plutôt lent, les « rebondissements » évacués de tout spectaculaire, les dialogues recherchés, les décors naturels magnifiés, les scènes d’intérieur les plus nombreuses : tout cela rend justice au style et au romanesque de l’auteur (« Jane Eyre » est une fresque romantique, teintée de « gothique » - cf. l’atmosphère étrange de Thornfield Hall, et encore « sociale » - très éclairante sur la place des femmes dans la société victorienne), mais reste un peu trop attendu dans la présentation, ne permettant donc pas d’y trouver LE point de vue qui ferait date…. L’atout majeur de cette « Jane Eyre »-là vient de son impeccable distribution : Mia Wasikowska est parfaite dans le rôle-titre (l’âge de son personnage, ou peu s’en faut : 21 ans lors du tournage - l’essentiel du roman présente Jane Eyre entre 18 et 19 ans, un physique peu spectaculaire, voire presque ingrat, mais un visage apte à révéler les bouleversements de l’âme, beaucoup de force et de grâce : un beau talent), Jamie Bell (coïncidence amusante : Charlotte utilisait comme ses sœurs le nom de plume « Bell », et était logiquement « Currer » Bell, pseudonyme donc « masculin ») compose pour sa part un « St-John Rivers » très convaincant (pasteur animé par la vocation du missionnaire, il propose à Jane de l’épouser pour qu’elle puisse l’accompagner en Inde, guidé par son estime et son admiration, mais pas par l’amour – il est en effet épris de Rosamond Oliver, un personnage secondaire oublié par le script) et Michael Fassbender confirme son aptitude à se couler avec aisance dans des peaux très différentes (voir le « David » de « Prometheus » par exemple, après le rôle dérangeant dans « Shame ») – son « Edward Rochester » est saisissant. Les rôles secondaires méritent aussi d’être loués : pour n’en citer que deux, Judi Dench en Mrs Fairfax, et Sally Hawkins à contre-emploi en « méchante » tante Reed.