J’avoue que je n’aurais sans doute pas regardé ce film s’il ne s’agissait d’un long-métrage d’animation français, et, en ces temps difficiles pour notre industrie, j’ai voulu donner une chance à un univers – l’animation 3D – qui me donne rarement satisfaction visuellement. Ici, dès la bande-annonce, le graphisme transpirant la modélisation informatique m’avait rebuté. Mais, par contraste, l’interdiction aux moins de 12 ans m’a, je l’avoue, fort intrigué ! Sexe et violence au pays des Sims ? Mmm… Pourquoi pas ? Bravant avec courage l’adversité de mes irascibles présomptions, j’ai donc voulu en découvrir plus, la forme d’une oeuvre pouvant certes déplaire à Pierre, Paul ou Jacques, mais c’est avant tout le choix de la forme rapporté à la profondeur du fond qui détermine la qualité d’une oeuvre, son « expression ». Alors, quid de The Prodigies ? Prodige ou navet ?
Alors, oui, je ne m’étais pas trompé, le film recèle une violence débridée consubstantielle à la nature même du pouvoir des cinq enfants : ressentir ce que l’un des quatre autres peut endurer et contrôler le corps de tout autre être humain. C’est que les « enfants rois » subissent au cours du film un profond traumatisme et réagiront en fonction : le contrôle des adultes, pantins désarticulés, et le déchaînement de violence de la part de simples adolescents semblent impitoyables et donnent une impression étrange au sein d’un film au stylisme si lisse et léché. Mais, on ne va pas s’en plaindre et il faut ici remercier Charreyron d’avoir conservé dans son film la noirceur vénéneuse du livre. Les incroyables mouvements de caméra virtuelle sont ponctués par des ralentis qui suspendent le temps et la matière, et qui donnent tout son sens à une projection en 3D. Les plans-séquences immersifs ne font malheureusement pas oublier une certaine pauvreté des couleurs, des textures, de « l’atmosphère » : tout est trop visible, trop propre, trop transparent, tel un compositing inachevé…. On est à New York et on se croirait à Dubaï…
La thématique de base n’est pas d’une originalité folle, en tous cas au cinéma et après dix années de matraquage médiatique avec la licence X-Men. Néanmoins, je trouve que la force du film réside dans sa détermination à ne pas dévier de ses partis-pris jusqu’au-boutistes : 1/ les surdoués sont le plus souvent traités comme des débiles par la société, 2/ des êtres physiquement et intellectuellement supérieurs ne peuvent pas se reconnaître dans leur propre espèce, 3/ les enfants qui ont souffert deviennent très très méchants. Et cet entêtement – qui paye souvent dans la science-fiction -, cette limpidité du point de vue, cette froideur décomplexée qui est aussi celle des « enfants rois », la 3D d’Antonov l’illustre si bien… Cependant, les personnages ne sont pas toujours bien caractérisés et la motion capture, dont Charreyron est l’un des précurseurs au cinéma, ne rend pas toujours hommage à l’expressivité humaine quand celle-ci est nécessaire pour émouvoir et donner de la profondeur.
Les scènes d’actions, qui prennent aux tripes, sont remarquablement réalisées et, là, on voit toute l’expérience engrangée dans l’industrie du jeu vidéo par l’équipe de réalisation. De ce point de vue, le film est d’une réussite éclatante, même s’il déstabilise un peu dès ses premières minutes, avec un insert de violence très japanim qui reviendra à plusieurs reprises et qui laisse un peu la compréhension du spectateur sur le carreau. Néanmoins, ces flashs de violence très nippone sont traités avec une esthétique qui tranche totalement avec le reste du film et apportent à l’ensemble un caractère hybride que la direction artistique aurait eu intérêt à développer… beaucoup plus ! Car, j’ose le dire, il y avait dans le script le potentiel pour faire de ces Prodigies notre Akira national !!! Mais, c’est au contraire en récusant toute filiation dans l’animation mondiale que le film se construit. Comme le reconnaît Antonov en interview, il a souhaité se démarquer, d’une part, du Studio Ghibli et de l’hommage à Hayao Miyazaki, maître à dessiner de l’école française, et, d’autre part, des studios Disney, Pixar ou Dreamworks.
C’est finalement à la fois la force et la faiblesse du film de Charreyron : on est loin du rendu visuel « cartoon » des Américains ou « manga » de la japanim, mais du coup on a pendant tout le film la désagréable impression d’être en train de regarder une cinématique de jeu du début des années 2000 (le travelling haut sur Central Park…). Pourtant Charreyron et Antonov ne sont pas des petits joueurs dans la réalisation 3D… Ne pouvant les taxer d’amateurisme, il n’y que deux options possibles : un budget trop limité ou bien un choix esthétique très insolite, en avance sur son temps, une sorte de « 3D vintage » ?!?… Regardez le film et donnez-vous votre avis ! Et, si vous avez été emballé par cette alternative française, sachez que les éditions Glénat ont publié en 2011 un livre intitulé The prodigies, une voie nouvelle dans le cinéma d’animation.